Procès-verbaux et interrogatoires

Le juge de Paix du canton de Carentoir Louis Joseph Le Roy apprend le 8 prairial de l'an Il (27 mai 1794)

vers les huit heures du matin par la municipalité que Charles Marie Hurel «le maîstre en chyrurgie» bien connu pour ses idées acquises à la révolution, habitant la maison de Serre sur la commune de Carentoir, en contrebas et à quelques centaines de mètres de la chapelle de la Haute Bouexière, vient d'être assassiné la veille au soir.

Aussitôt il s'y rend avec son adjoint qui est aussi son greffier ordinaire Joseph Fichet, avec également les citoyens Joseph Perrin boulanger. Pierre Hervé laboureur, l'officier municipal Joseph Garel, et Félix Louis Pocher agent national du canton de Carentoir.

Ils vont interroger Louis Potier, après que celui-ci ait prêté serment, "main levée". Louis Potier (ou Pottier) est passeur au passage du Gueslin en Saint Martin sur Oust. A cette époque il n'y a pas encore de pont à cet endroit. Il est aussi laboureur. il affirme qu'une dizaine d'hommes armés habillés en bas bretons, parlant un langage inconnu de lui, avait passé le gué après midi se rendant dans la direction de Ruffiac ou de Tréal:

Procès verbaux par Louis Joseph Le Roy

Juge de Paix à Carentoir le 8 prairial an Il à deux heures de l'après midi, relatifs à l'assassinat de Charles Marie Hurel, le 7 prairial (soleil couché)

«L'an second de la République française une et indivisible Le huyit prairial Nous soussignés Louis Joseph Le Roy juge de paix du canton de Carentoir, district de Roche des Trois département du Morbihan certifions que ce jour environ les huit heures du matin Nous avons appris par la municipalité de Carentoir qu'elle venait»... «que le citoyen HUREL de Seres avait été assassiné quelque temps après soleil couché par neuf à dix hommes armés habillés comme des Bas Bretons parlant leur language qu'ils ont dû rencontrer le dit HUREL au village du Rocher en Tréal et s'étaient ensuite rendus chez lui que cela est d'autant plus probable que Louis POTIER passager du Gueslin arrivé ce matin, a dît que hier il était passé au gué de la rivière du Gueslun en Saint Martin dix à douze hommes habillés en bas Bretons armés qui partirent suspects à tout le village en conséquence la compagnie du citoyen et ayant avec nous Joseph GAREL officier municipal de cette commune et ayant avec nous pour adjoint le citoyen Joseph FICHET notre greffier ordinaire. Joseph PERIN boulanger. Pierre HERVE laboureur. demeurant au bourg de Carentoir, Notables an absence des assesseurs. Nous avons en présence du citoyen Félix Louis ROCHER agent national de la commune de Carentoir procédé à l'audition dudit POTIER que nous avons fait comparaître devant nous de la... (?) verbalement.

Louis POTIER laboureur et passager du Gueslin en Saint Martin sur aoust, demeurant au village du Gueslin Lequel interrogé sur le bruit de la mort du Citoyen HUREL et circonstances a dît après avoir prêté serment.

ayant la main levée de dire vérité qu'ayant entendu parler ici de la mort dudit HUREL et qu'il avait été tué par neuf ou dix hommes armés, habillés en bas Bretons et parlant leur langage il avait entendu dire dans son village hier à son retour de Roche des Trois ou il était. que le mesme nombre de neuf & dix personnes armées, habillées en bas Bretons et parlant leur langage avaient passés au gué après midy et avaient pris le chemin qui conduisait du côté de Ruffiac et Tréal. sans qu'on sait, ce qu'ils sont devenus, ni lui mesme n'avoir su - que par la rumeur qui - dépend d'assassinat dudit HUREL, ni aucunes circonstances d'icelui

Lecture lui faitte de sa déposition il a déclaré qu'elle contient vérité ni vouloir augmenter ni diminuer y persister et a signé:

ROCHER Agent National, JOGAREL, Pierre HERVE PERRIN, SICHET Greffier, Louis P0TTIER, Le ROY Juge de Paix.»

C'est tout ce que le juge Le Roy put tirer du «passager». Comme la plupart de ses confrères Louis Pottier était tout acquis à la chouannerie.

A propos des «passagers», il faut faire un effort d'imagination pour se représenter la situation à cette époque où il n'y avait que fort peu de ponts pour enjamber les rivières; d'où la nécessité d'avoir recours à des passeurs dont l'importance était vitale.

Durant la chouannerie presque tous les passages d'eau étaient contrôlés par les chouans, à commencer par Louis Potier chouan notoire qui tenait le Gueslin sur la rivière «d'Aoust». Le pont Corbin sur l'Aff était tenu par un des Desbray de Coquelin, le moulin du Quihan sur l'Arz était aussi aux mains des chouans. L'important passage de l'étier de Béganne était surveillé pas un cabaretier du nom de Boceno, tout acquis au général Sol de Grisolles, l'adjoint de Cadoudal. Saint Perreux et Bougro avaient comme passeurs les chouans de Saint Vincent sur Oust. Branféré était desservi par Gilles Sebilet tout dévoué à Monsieur de Pioger, qu'il cacha plus d'une fois. Le pont d'Oust était un point de rendez-vous pour les gars de Peillac et des Fougerets.

Mais certains «passagers» avaient été achetés secrètement et étaient étroitement surveillés par les bleus. Ce sera le cas de Greslier au port de Roche, ayant voulu faire des difficultés pour passer des insurgés il vit sa barque coulée. La femme Pichon du moulin de Rieux en Saint Martin disparaîtra le 27 décembre 1795 pour avoir voulu trahir les royalistes.

Travaillent avec les passeurs chouans des personnes sures, chargées d'avertir de l'arrivée des républicains, de transmettre les consignes, d'appeler aux rassemblements.

Les estafettes sont souvent des femmes ou des enfants. On se souvient du petit bossu de Malestroit Pierre Loyer qui préféra mourir plutôt que de vendre le général Sol de Grisolles dont il était le porteur de missives.

Les bleus devaient, en 1794, donner l'ordre de couler tous les bateaux entre Redon et Malestroit.

Ensuite le notable François Rault accompagne le juge et sa suite sur les lieux du drame, à l'angle Nord Est du parc de la Bourdonnaye. «Ils trouvent le corps de Charles Marie Hurel étendu sur le dos, vêtu d'une veste de chasse, d'un gilet de soie à fond blanc avec des fleurs roses dont le derrière est de coton blanc, des pantalons de cotonnade et de soie rose et blanche, de caleçons blancs, de souliers ferrés sous boucle, d'une chemise en toile à manchettes en mousseline avec une paire de boutons en cuivre. Il a un tour de cou avec une boucle, une paire de bas en laine blanche. Il n'a pas de chapeau.

Il est étendu à près de trois toises (environ 6 mètres) de la porte du parc où il y a une large mare de sang».

Le citoyen Augustin Briand officier de santé à Carentoir fut requis pour l'expertise du cadavre. Il fit les premières constatations, après avoir bien entendu prêté serment la main levée de dire toute la vérité.

Briand remarque à la partie supérieure et latérale de l'occipital du côté droit une plaie d'une longueur de cinq travers de doigts, l'os coupé dans la longueur, une autre plaie d'une longueur de quatre travers de doigts pénétrant jusqu'au muscle «crotaphiste». Une autre plaie mâçhée de la longueur de trois travers de doigts sur la mâchoire brisée se poursuit jusqu'au menton, toutes ces blessures ayant été faites à coups de sabre, la dernière par un coup de feu de pistolet ou de fusil.

Briand situe la mort à environ seize à vingt heures auparavant.

Qu'elle a été longue l'agonie de Charles Marie dont le cadavre gît maintenant depuis la veille au soir parmi les bruyères et les genêts. Sans doute n'est-il pas mort sur le coup, la grande quantité de sang répandue à trois toises de l'endroit où il est étendu atteste ce qu'a dû être son dur calvaire, par cette belle nuit parfumée de printemps. Sans doute a-t-il tenté, se traînant péniblement depuis la porte de la bergerie, d'alerter un rare passant. Ne répondit à son angoisse que le croassement des corbeaux branchés dans les hautes frondaisons des chênes majestueux, déjà avides de participer au carnage.

Personne ne viendra à son secours... Personne n'entendra ses plaintes... Et pourtant si près des siens.

L'allée menant de la chapelle de la Haute Bouexière à la porte du parc et à la bergerie dénommée encore de nos jours «allée des chênes», aux arbres séculaires sera appelée par certains «l'allée de la Mort»

L'expertise terminée, Le Roy accompagné de ses acolytes quitte les lieux, emprunte l'allée des chênes, se retrouve sur le chemin qui descendant mène à Serre à quelques centaines de mètres de là. Il se retrouve bientôt à la maison de Serre pour interroger les occupants de cette habitation, les membres de la famille, les voisins, les domestiques du défunt, sans oublier les deux jeunes filles désormais orphelines de père et de mère. Tous prêtent le serment, jurent ayant main levée de dire vérité sans rien omettre sur les circonstances et dépendances du drame qui vient de se jouer.

La première interrogée est tout naturellement la deuxième épouse de Charles Marie Hurel, Perrine née Foulon. Agée de 24 ans, elle est mariée à notre «maistre en chyrurgie» depuis le 8 juillet 1784.

Elle déclare qu'environ un quart d'heure après «soleil couché», c'est à dire vers huit heures moins le quart du soir au soleil, la maison fut envahie par une bande d'une dizaine d'hommes armés. Elle remarque à la ceinture d'un des brigands comme on appelle les chouans, quatre pistolets dépassant de sa ceinture, les autres ayant des sabres, des fusils à un et deux coups. Elle déclare qu'aussitôt la maison investie des sentinelles furent disposées devant les portes, un chouan qui parlait le français exigea, de par le Roy, qu'on lui remit toutes les armes qui se trouvaient plus ou moins dissimulées. Il s'empara d'un fusil à deux coups, de deux sabres et de deux pistolets. L'un des fusils fut trouvé caché dans le lit d'une des deux fillettes. Les autres se livrèrent à la fouille des diverses pièces du logis. Ils trouvèrent quatre cents livres d'argent métallique, trois cents livres d'assignats, deux cuillères d'argent, deux vestes, une écarlate et l'autre tissée de fils d'or. Plusieurs culottes dont une presque neuve en satin noir, une paire de bas de coton, une paire de souliers, une demie douzaine de bons mouchoirs, une montre en or, une tabatière en corne, deux rasoirs et deux médailles en argent du collège de chirurgie de Rouen, dont la plus petite avait la taille d'une pièce de trois livres, l'autre plus grande qu'une pièce de six livres, une aulne de mousseline double, deux pains de trois livres chaque, le tout estimé a deux mille quatre cent quatorze livres et quinze sols.

Le pillage de la maison terminé, ils s'emparèrent de Charles Marie et l'emmenèrent d'abord hors de chez lui dans le cellier, près du four à pain. Là, ils l'encordèrent pour le conduire ensuite vers le lieu de son supplice.

Telle a été la déposition de la femme de Charles Marie.

Il se fait tard, le juge Le Roy décide de suspendre les interrogatoires, de les poursuivre le lendemain à son domicile à Carentoir.

Seront interrogés ce neuf prairial les deux filles de la victime: Perrine Julienne, l'aînée âgée de 16 ans et sa cadette d'un an Perrine Josèphe (Hurel de la Mollaye). Ensuite ce sera au tour de Joseph Hazard, de Louis Guimard laboureur, tous les deux habitant à Serre, de Jeanne Boulois lingère native du bourg d'Augan, Louise Duglué, fille de François, femme de Jean Marie Fontaine âgé de vingt sept ans, demeurant à la Charbonnière, près de la Haute Bourdonnaye.

Perrine Julienne reprend à peu de choses près la déposition de la veille de sa belle-mère. Elle précise que c'est elle qui ouvrit une armoire de la cuisine aux brigands, mais que n'y ayant rien trouvé, à part quelques assiettes et écuelles ils n'emportèrent rien de cet endroit. Elle dit à l'un des pilleurs qu'il ne faudrait pas faire attention à ce que leur père dirait «qu'il parlerait quand on aurait du le tuer...». Ils répondirent qu'ils ne tuaient personne, que les brigands nous faisaient beaucoup de peine. Elle déclara également qu'ils mirent beaucoup de précipitation dans leur pillage, se disant les uns aux autres de se hâter, que leur troupe ne les attendrait pas. Ils demandèrent des cordes, prirent son père et le tenant au collet l'emmenèrent près du four à pain. Ensuite elle entendit un coup de feu venant du côté de la haute Bourdonnaye, à deux cents pas de chez eux..

Quant à sa sur Perrine Josèphe elle déclara que le 7 prairial au soir, une demi-heure avant soleil couché, donc vers sept heures du soir, elle partit à la recherche de son père. Elle était accompagnée de la citoyenne Boulais et de Louis Guimard. Ils se rendirent du côté de la Bourdonnaye, où Charles Marie était passé le matin. Ils ne le trouvèrent pas.

S'en retournant, en passant à la métairie de la Charbonnière avec Louis Guimard, ils entendirent cinq ou six personnes qui faisaient beaucoup de bruit, en descendant le chemin qui conduit de la Haute Boissière à la porte de la Bergerie. Quatre d'entre eux leur crièrent «Qui vive !», Louis Guimard leur répondit «Amis !».

Quelques instants après ils perçurent le bruit d'un coup de pistolet qui venait de la porte de la Bergerie. Rentrée chez elle, Perrine Josèphe apprit que son père venait d'être emmené de force par les brigands, après le pillage de la maison.

Ce n'est que le lendemain matin que le fermier de la cour de Serre, Joseph Hazard leur annonça qu'il venait de trouver leur père étendu mort près de la porte de la Bergerie.

Le témoignage de Jeanne Boulais âgée de vingt-cinq ans est le même, point pour point que celui de Perrine Josèphe.

A quelques précisions près, c'est le même témoignage que fournira Louis Guimard. Celui-ci, domestique à Serre est chargé par son maître le fermier Joseph Hazard, qui vient d'avoir un enfant, d'aller à la Charbonnière avertir Louise Duglué, femme de Jean Marie Fontaine, qu'elle doit venir allaiter le nouveau né.

S'y rendant, il rencontra huit hommes, l'un deux lui demandant:

- Qui êtes vous?
- «Je suis citoyen», répliqua Louis Guimard.
- «Vous êtes citoyen! D'où êtes vous donc?»
- «Je suis du village plus bas.»
- «Est-ce de cette maison que voilà?»
- «Oui »affirma le domestique.

Et aussitôt ils prirent le chemin de la maison de la Haute Boissière.

Après s'être rendu à la Charbonnière, accompagné de la nourrice, de Perrine Josèphe Hurel, de Jeanne Boulais, passant à travers l'allée de la bergerie, il entendit plusieurs personnes marcher, qui faisaient beaucoup de bruit. S'étant arrêté pour les voir passer, l'un d'eux lui dit:

«Qui vive?»
»Ami», répondit-il, croyant avoir affaire à des «citoyens».

S'en retournant à Serre étant au milieu des guérets de la Charbonnière, il entendit un coup de feu. Arrivé à la ferme, la veuve Perrine et une des deux orphelines lui demandèrent s'il n'avait pas rencontré de «brigands». Louis Guimard répondit qu'il venait de rencontrer huit hommes armés et vêtus comme on les lui décrivait, mais qu'il les avait pris pour des «citoyens»!

Quant au témoignage de Joseph Hazard, le fermier de la ferme de Serre, âgé de trente trois ans, il apporte quelques précisions supplémentaires. Il semble qu'il soit le dernier à avoir eu un semblant de conversation avec Charles Marie propriétaire de la ferme dont il est le métayer. Celui-ci lui déclara qu'une demi-heure après soleil couché, il s'était disputé avec ce groupe armé sur les landes de Fanhouet en Tréal, qu'il leur avait proposé de se battre avec lui, qu'il se fit mettre en joue par l'un d'eux, qu'il réussit à s'esquiver et à rentrer chez lui en passant par la rivière du Bousset et les pâtures en dessous du «chesne tort» de la Bourdonnaye.

Cette conversation fut interrompue par l'arrivée inopinée des «brigands» qui mirent la main au collet de Charles Marie et l'entraînèrent dans sa maison.

Joseph Hazard n'osa les suivre...

Lorsque le pillage de la maison fut terminé, Hurel fut encordé, emmené vers sa funeste destinée par la troupe de chouans. Le lendemain matin, environ soleil levant, sur ce qu'on lui dit avoir entendu un coup de feu venant du côté de la bergerie, il s'y rendit et trouva le corps du «maistre en chyrurgie» étendu mort près de la porte de la bergerie sur laquelle son sang avait giclé.

Pour cette raison elle s'appelle depuis ce jour PORTE ROUGE.

 

Voilà l'essentiel des neuf grandes pages, d'une écriture serrée, composant les procès verbaux du juge Le Roy relatifs à l'exécution de Charles Marie Hurel, mon ancêtre.

D'autres interrogatoires, dont nous sont parvenus les procès verbaux, vont se tenir au chef lieu de district de Roche des Trois, autrement dit Rochefort en Terre.

 

Perrine-Julienne et sa soeur perrine-Josèphe, âgées respectivement de 16 et 15 ans, signent le procès-verbal de l'assassinat de leur père Charles-Marie HUREL, établi le 9 prairial de l'an II (surlendemain de sa mort).

Certainement les deux signatures les plus émouvantes de
«NOUS SOUSSIGNANS»

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