Achetée il y a trois siècles d'un individu de Beignon» d'après l'abbé Le CLAIRE qui écrit cela il y a déjà plus de cent ans, la maison de Saire ou Serre en Carentoir devint la possession du marquis de la Bourdonnaye.
Par la suite elle fut la propriété de Charles Hurel, son homme de confiance, sûrement après 1754 puisque tous ses six enfants sont nés au château. Il y vivra, il y décédera en 1770, comme en 1769 sa belle mère Marie Olive Riquel, comme en 1779 sa femme Perrine Catherine née Riquel, comme sa bru Jeanne Françoise née Cartron le 12 décembre 1771. La maison de Saire sera ensuite habitée par Charles Marie Hurel le «maistre en chyrurgie» et ses deux filles Perrine Julienne et Perrine Josèphe.
Après le décès de sa première femme Jeanne Françoise et l'exécution de sa seconde épouse Marie Perrine née Foulon, la maison sera occupée par les deux jeunes orphelines.
Perrine Julienne
Perrine Julienne se mariera à dix neuf ans, donc mineure le jour de son mariage, (la majorité pour les filles est de vingt cinq ans). Elle se mariera durant les jours «sans-culottides», le 4ème jour complémentaire de la quatrième année républicaine (fin septembre 1796). Elle aura un enfant dans cette maison de son premier mari Mathurin Houeix.
L'enfant né le 22 avril 1797 sera prénommé Gabriel. Ensuite elle se remariera religieusement le 25 janvier 1799 (6 pluviose An VII) et civilement le 8 février (20 pluviose ) avec Jean Marie Frinault âgé de dix neuf à vingt ans, c'est-à-dire vingt neuf mois après son veuvage. Le registre cherche à le vieillir légèrement car il est plus jeune que sa fiancée. L'acte de mariage établi le 20 pluviose de l'An VII (8 février 1799) spécifie «agé de dix-neuf à vingt ans» tout en précisant «honorable garçon».
De ce second mariage naîtra à Saire une fille prénommée Marie Josèphe dont la marraine sera Perrine Josèphe Hurel (de la Mollaye). Perrine Josèphe Hurel, la tante de l'enfant, n'est pas née à Saire le 10 avril 1779 mais à la maison du «Doucet», (qui existe toujours), distante de Saire d'environ quatre cent cinquante toises (900 mètres).
Perrine Josèphe
Comme sa sur Perrine Julienne, Perrine Josèphe a vingt deux ans quand elle se retrouve veuve de son premier mari Pierre Nozay après quelques mois de mariage.
Comme sa sur elle a eu de son premier mariage un fils, Emmanuel, qui sera curé de Beignon durant une trentaine d'années.
Comme sa sur elle se remarie avec Jean Gabriel Frinault, le même jour que sa soeur se remarie avec Jean Marie Frinault.
Perrine Julienne continuera d'habiter Saire. Sa soeur, elle, quittera cette maison où elles ont passé leur jeunesse pour suivre son mari beignonnais.
Ce double mariage est à rapprocher de celui de deux frères Frinault vingt ans auparavant. Gabriel Frinault, marchand tanneur à Beignon et parrain du célèbre Père Deshayes et Jean (marchand de cuir) épousèrent le 7 février 1780 les deux soeurs Marie et Reine Jouet. Jean Marie et Jean Gabriel, leurs fils respectifs, sont donc deux fois cousins germains (par leurs pères et leurs mères). Ils auront quinze enfants à eux deux, ce qui explique en partie la complexité de l'étude généalogique de cette branche familiale des Frinault.
C'est dans des circonstances dramatiques, que signeront sur un procès-verbal dressé à Saire, les deux fillettes devenues orphelines de père et de mère Perrine Julienne et Perrine Josèphe Hurel, signatures de beaucoup les plus émouvantes de «NOUS SOUSSIGNANS».
Par la suite cette maison devait revenir dans le fief de la Bourdonnaye. Elle y est encore actuellement, c'est une belle ferme dont le métayer Dubois m'a conduit près de l'ancien four à pain d'époque. A défaut de signature il y a toujours obturant un trou dans un grenier, une planche sur laquelle est gravé le nom «HUREL».
Noble Homme Charles-Marie HUREL
chyrurgien
C'est tout naturellement dans cette maison de Saire que Charles Marie va s'installer comme chirurgien et sans doute aussi comme dentiste. Les deux fonctions sont d'ailleurs exercées par le même praticien et encore de nos jours certains médecins de campagne savent manier le davier pour l'extraction des dents.
Il y a peu de temps encore sur le linteau d'une porte il y avait à Serre un écriteau ou enseigne portant la mention «Dentiste», ce qui laisse à supposer que Charles Marie savait manier le davier et se livrait à l'art dentaire. Un davier lui ayant sans doute appartenu, retrouvé sur un déserteur, sera présenté quelques années plus tard à sa veuve pour l'authentifier, après que les autorités eussent mis les scellés sur sa «farmacie» et sur ses instruments chirurgicaux.
Pour se rendre compte du matériel utilisé à cette époque par les chirurgiens et dont Charles Marie se servait, voici une liste non exhaustive de l'effrayant attirail d'un de ses confrères:
«des plat à barbe à côté des poêllettes à oreilles pour recevoir le sang. Les cornets et flamettes pour ventouser, les feuilles de myrthe pour nettoyer les plaies. les aiguilles courbes servant à suturer. les couteaux et scies pour les amputations. les instruments servant pour l'avulsion des dents, un poussoir. deux daviers, un bec de corbeau. un pied de biche, une langue de carpe. et Ces redoutables policans qu'il faut bien savoir manier, selon Ambroise Paré.
sinon on ne peut faillir à jetter 3 dents hors de la bouche et laisser la mauvaise; autre outil du chirurgien le trépan ressemblant au vilebrequin du serrurier»...
Sur les activités professionnelles de Noble Homme Charles Marie HUREL maîstre en chyrurgie «Sieur de Saire», peu de documents sont parvenus jusqu'à nous. On voit le 2 février 1777 Charles Marie, il avait 23 ans, baptiseur à la Ville au Comte, paroisse de Monteneuf, d'un enfant «anonyme» du sexe masculin, fils de Raoul Jehanne et d'Anne Hervé en état de mort et «à cause de l'urgente nécessité». En effet le petit corps sera inhumé le lendemain dans le cimetière de l'église de Monteneuf, trêve de Guer.
La pièce la plus intéressante que nous ayons retrouvée, document important, nous montre Charles Marie procédant à la répétition d'une autopsie faite le 28 octobre 1790 sur le cadavre du cordonnier Louis Chesnel assassiné à Tréal. L'autopsie a été faite conjointement par Charles Marie et un autre chirurgien de Guer du nom d'Eon. Mais on ne trouve pas la signature de ce dernier sur le procès verbal.
On remarquera le ton déférent employé envers ces Messieurs de la magistrature, les courbettes verbales relevées à plusieurs reprises dans le texte, dont la lecture de quelques extraits s'impose:
«... répétition faite d'autorité du tribunal près le district de Rochefort à la requeste de Me Guillaume BOGE, accusateur public dudit tribunal procédant contre les auteurs du meurtre commis sur la personne de Louis CHESNEL défendeurs assurés à laquelle a été vacqué par nous François Gabriel Le CLAINCHE premier juge du tribunal, ayant avec nous François Bertrand MAURY notre greffier ordinaire.. a comparu le Sieur Charles Marie HUREL Maîstre en chirurgie agé d'environ trente huit ans, demeurant en sa terre de Saire, paroisse de Carentoir, evéché de Vannes, et René Jean Marie EON, demeurant ville et paroisse de Guerre, tous les deux maistres chirurgiens. nous nous sommes transportés dans le cimetière de laditte paroisse de Tréal pour rapporter procès verbal du cadavre de Louis CHESNEL cordonnier, ou étant arrivés Monsieur Le BLANC faisant fonction de Monsieur le Sénéchal absent et Monsieur le Procureur fiscal, nous ont fait présenter ledit CHESNEL pour en faire l'ouverture, leur faire connoître la véritable cause de mort, et leur en raporter. Procédant à la visitte extérieure nous avons trouvés et apperçus, fait voir et appercevoir à Messieurs les Juges et adjoints une contusion considérable sur la partie postérieure de l'occipitale, parvenue a la poitrine nous avons vû et avons fait voir à Messieurs les Juges différens coups s'étendant sur tout lexternome continuant le cours de notre visitte et parvenu à l'adomaine nous avons vû et fait voir à Messieurs les Juges et adjoints toutes les parties naturelles tuméfiée, procédant à l'ouverture des trois ventres, dans le premier le péri érane(?) levé, nous avons trouvés et fait voir à Messieurs les Juges, un épenchement considérable a la partie postérieure et inférieure du cerveau qui a occasionné la plus grande tuméfaction au dit serveau, parvenue au ventre moyen, nous avons trouvés, fait voir et appercevoir à Messieurs les Juges un epenchement dans toute la capacitée, et des visêres dans leurs integrités, parvenus au ventre inférieur, nous avons remarqué, fait voir et appercevoir à Messieurs les Juges un gonflement au petit lobe du foy et a la vesiculle un gonflement occasionné par l'inflamation dudit viscère et la ratte tumefiée, et les intestins dans leur état naturel. Avec prompte et certitude de repeter le present en justice, toutefois et quand requis sera, fait et redigé par sous nos seings même jour et an. Signé sur la minutte HUREL et EON. En la grosse est écrit: Pour copie conforme à la minutte.
Signé RICHARD commis juré et au délivré FABRE et DUPORTAL. Lecture faite audit Charles HUREL de sons dit procès verbal a dit qu'il est veritable y persister ny vouloir augmenter ny diminuer»... .
Suivent les signatures des participants François Houix François Gabriel Le Clainche, Charles Marie Hurel, Jan Baptiste Desprez, Maury greffier.
Jean Marie Eon le chirurgien, acolyte de Charles Marie, le juge Bogé, Richard Fabre, Duportal, ne signent pas. Nous retrouverons quelques uns de ces personnages, anciens hommes de loi et prébendiers de la monarchie, aux heures sombres de la terreur, devenus agioteurs, acquéreurs de biens nationaux et républicains acharnés.
C'est la première fois que nous remarquons la signature de Le Clainche dont l'influence va devenir de plus en plus considérable au fil des années. François Gabriel Le Clainche, né en 1746, avocat et sénéchal de Rochefort en Terre descend d'une vieille famille de Questembert. C'est un patriote prononcé, il va bientôt devenir un révolutionnaire acharné. En 1790 il est administrateur du département. Elu juge il est réélu en 1792. Nommé agent national pour le district de Rochefort par Prieur de la Marné, il se signale à ce poste par une grande activité contre les chouans et les prêtres réfractaires. Voici comment en l'an Il le note Prieur de la Marne:
«Excellent patriote, a donné sa démission lorsque le tribunal s'est rendu à Malestroit, n'a point participé aux arrêtés fédéralistes».
Au sac de Rochefort sa maison fut entièrement saccagée, tous ses meubles brisés. Il fut un des créateurs du mouvement de contre-chouannerie qui consistait à déguiser des bagnards en chouans, individus extirpés des prisons pour terroriser les populations par toutes sortes d'exactions. L'idée première de leur création remonte à septembre 1794 et serait de Collot d'Herbois. Jean Bon Saint André l'exécuta et fit relâcher 350 galériens des prisons de Brest «qui déguisés en chouans portant scapulaires et chapelets» devaient parcourir les pays insurgés et y commettre toutes les infamies susceptibles de faire déconsidérer la chouannerie. Le général Rossignol reçut 45 forçats pour le pays de Redon. Il écrivait le 15 novembre 1794 à la Convention:
«J'ai rencontré nos amis, sur les landes entre Allaire et Malestroit, incendiant et assassinant en disant des prières: faisant du bon travail! Mais ils sont démasqués; on pourrait les utiliser ailleurs, ils ont fait leurs coups en faisant abhorrer les chouans, nous n'en demandions pas davantage».
Mais ils allaient trop loin et en 1797 Le Clainche aurait bien voulu, lui aussi, mettre un terme à leurs exploits. Mais relâcher tous ces fauves avait été plus facile que de leur faire réintégrer leur cage. Il en restait encore une dizaine parmi les «40 bons lapins» qu'il avait eu l'imprudence de réclamer l'année précédente et dont il n'arrivait plus à s'en débarrasser, malgré l'éclaircissement du à l'action des vrais chouans. Leur chef était un galérien marqué au fer rouge «le gros Julaud». De nombreux paysans furent martyrisés par eux, pieds au feu, pour leur extorquer secret ou argent, quelquefois les deux. En 1802 les autorités réclamaient encore l'arrestation d'une bande commandée par le galérien Kermorin de Brest.
Le Clainche est le type même du notable d'ancien régime, issu de cette bourgeoisie de robe, comprenant une multitude de juges, avocats, notaires, greffiers, procureurs fiscaux, intendants, régisseurs des domaines, reniant la monarchie qui pourtant les avait engraissés, et qui retournèrent leurs vestes et firent la révolution.
Cette classe spéciale de la bourgeoisie fournit un de ses plus mauvais éléments: celle de ces hommes d'affaires qui tous acquéreurs de biens nationaux furent bientôt les représentants officiels du nouveau régime, voués pour la plupart à la haine farouche des paysans et des chouans, promis à leur sanglante vengeance. Ces profiteurs enrichis sur le dos des maîtres et des paysans furent l'objet de la haine profonde du peuple des campagnes. Toute cette catégorie de gens se rendit particulièrement odieuse. Elle fournit le fameux Geslin, procureur syndic du district de Rochefort, Seguin le meneur de La Gacilly, ex-procureur du marquisat de la Bourdonnaye, dont plusieurs signatures figurent sur certains actes de baptêmes de la famille Hurel, comme celles de Le Gall lui aussi procureur fiscal ou de Hoeo-Boisgestin. Ce dernier s'occupera du dossier de Charles Marie Hurel. Nous possédons de nombreuses lettres de lui, et donc de nombreuses signatures. Tous ces gens avaient la même origine, tous ces gens étaient des profiteurs presque tous déjà enrichis avant 1789, aux dépens de leurs maîtres et des campagnards. Ils appréhendaient d'avoir à restituer les biens acquis nationalement.
En 1777 Charles Marie convole en justes noces avec Jeanne Françoise Cartron née le 16 décembre1759 à Kerbihan, paroisse de Saint-Jean Brévelay. Malgré de nombreuses recherches il n'a pas été possible à ce jour de retrouver leur acte de mariage. Mais en 1777 Jeanne Françoise Cartron signe Hurel, ce qui prouve qu'elle était déjà l'épouse de Charles Marie. Un premier bébé naît le 11 mai de l'année suivante. C'est une fille. On la prénomme Marie Perrine Julienne. L'année suivante encore une fille: Marie Perrine Josèphe naît le 10 avril 1779, non pas à Saire la maison familiale, mais à la maison du Doucet, maison qui existe toujours. De tradition familiale on connaît Perrine Josèphe sous le nom de Perrine Hurel de la Mollaye... Aucun document ne vient corroborer cette appellation.
Enfin un garçon, il est baptisé en février 1781. Mais ces trois grossesses rapprochées ont épuisé la maman et à la fin de cette année 1781 elle rend son âme à Dieu le 12 décembre. Elle n'avait que vingt deux ans, pour cette raison, par delà les ans, j'éprouve pour Jeanne Françoise, mon ancêtre, une infinie tendresse. Elle sera inhumée au cimetière de la Haute Bouexière qui existe toujours. Elle tiendra compagnie à son beau-père Charles Hurel, à Marie Olive Riquel, à sa belle mère Catherine Perrine Riquel épouse Hurel décédée deux ans auparavant mais qui avait eu la joie de connaître ses deux petites filles.
Voici donc Charles Marie veuf de Jeanne Françoise. Il a vingt sept ans, et la charge de deux fillettes de deux et trois ans, sans compter Charles le bébé de quelques mois. Il semble que celui-ci n'ait pas vécu, sans doute est-il mort en bas âge, la mortalité infantile étant à cette époque bien plus importante que de nos jours.
Charles Marie attendra jusqu'au 5 juillet 1784 pour se remarier. Il épouse Perrine Marie Foulon. Sa fiancée a vingt quatre ans, donc mineure, la majorité étant fixée à vingt cinq ans. Elle est la fille de Noble Homme Clément Foulon et de demoiselle Marie Jeanne Joubin de Ruffiac. Il semble que de leur union ne naîtra aucun enfant.
C'est cette nouvelle épouse de Charles Marie qui aura la responsabilité d'élever les deux petites orphelines de mère. Mais le drame s'abattra sur elle aussi, bien avant que ces enfants ne soient en âge de se marier.
Sur l'acte de leur remariage on note la signature de trois Nobles Hommes ou Nobles Maîtres.