Charles-Marie face à la Chouannerie

En mars 1792 parvint l'ordre d'enlever aux églises tous les ornements et objets de valeur, vases sacrés, croix de processions etc ... Les cloches aussi furent saisies, pour échapper à la réquisition. Celles de Cournon furent cachées sous deux mètres d'eau dans l'Aff, celles de Glénac dans le marais, celles des Fougerêts dans l'étang du Groutel.

Le refus de la très grande majorité des prêtres en exercice de prêter le serment à la constitution civile du clergé, le refus de la conscription forcée des jeunes en état de porter les armes, les multiples réquisitions affectant surtout les paysans devant fournir des bêtes, cochons, boeufs, chevaux et toutes sortes d'autres denrées pour le ravitaillement des troupes furent prises pour des vexations. Ces mesures inopportunes exaspérèrent tellement la population des campagnes qu'elle en vint à se rebeller contre la nouvelle république, pourtant porteuse de tant d'espoirs...

Mais face à toutes ces mesures discriminatoires le peuple répondit par une levée en masse.

C'est réellement à cette date que l'on peut fixer la naissance de la chouannerie.

Ce fut à cette époque que le jeune chef de Cacqueray installé dans la région de Ruffiac conseilla la tactique fuyante qui rendait les chouans insaisissables C'est lui aussi qui créa un service de poste clandestine qui traversait la Bretagne dans toutes les directions.

Le clergé fidèle, celui qui refusa le serment à la constitution civile du clergé fut férocement traqué par les «patriotes» civils et militaires. Des dénonciateurs les aidèrent dans leur chasse aux prêtres réfractaires. A Ruffiac l'ancien curé Coquerel, Alexandre Caillet, Louis Velec «marchands d'absolutions» furent dénoncés.

Pour avoir donné asile au prêtre réfractaire Robin, Louis Guillotin vit son grenier incendié par les bleus avant que ceux-ci aient essayé de lui voler ses boeufs. Dans la région du district de Roche des Trois, quatre prêtres se cachaient à Carentoir, six à Bains sur Oust, deux aux Fougerêts, un à Glénac, deux à Peillac, deux à Allaire, trois à Rieux dont l'abbé Tuai qui put s'échapper. Mais son frère fut fait prisonnier. L'abbé Robin de Tréal dénoncé par Le Blanc de Carentoir fut prévenu à temps et s'esquiva vers les taillis impénétrables de la Bourdonnaye. En 1792 l'abbé Guillaume Michel continuait à administrer les sacrements. Il se cachait le plus souvent aux «Feuges» et quelquefois dans un chêne creux.

Malgré toutes ces précautions il fut arrêté et déporté a l'île de Ré, comme d'ailleurs l'abbé Nicolas curé réfractaire de Tréal. Un abbé Michel desservait la Chapelle Saint Jacques en Carentoir qu'il ne quitta jamais, se cachant chez des paroissiens courageux dont Louis Ricaud de l'Abbaye aux Alines ou chez Guillaume Buchet de la Touche es Régeard.

A Carentoir, Brenugat, l'officier municipal, voulut faire présenter les enfants nouveaux nés au prêtre constitutionnel Rubault pour les faire baptiser. Les parents lui rirent au nez et se moquèrent du nouveau régime. Charles Marie connaissait ce prêtre assermenté.

Après la réaction de Thermidor en l'an II, Carentoir fut pris par les chouans en plein jour, l'arbre de la Liberté abattu.

Charles Marie déposa le 17 août 1793 (quelques mois après la bataille de Rochefort) une demande d'indemnités pour son sabre et son baudrier perdus dans la bataille de Rochefort en Terre et récupérés par la Garde Nationale. Nous savons donc qu'il participa. comme combattant volontaire du côté républicain au combat qui eut lieu le 16 Mars 1793 au chef lieu de district Rochefort en Terre dont dépendait Carentoir. Par la suite, l'Histoire devait appeler cette affaire le «sac de Rochefort».

Les forces en présence ont été diversement évaluées. On a été jusqu'à parler de 8 000 chouans rassemblés pour cette expédition. Ce chiffre est bien évidement sujet à caution, fortement exagéré. On peut raisonnablement admettre du côté chouan la présence de 800 à 1500 combattants, d'ailleurs bien mal armés. Il n'aurait pas été possible de rassembler plus de chouans, même en recrutant dans toutes les paroisses des alentours.

L'expédition prit une allure de croisade mais aussi, pour quelques chouans avertis et certains de leurs chefs le moyen de se procurer des armes et des munitions. Les troupes royalistes rassemblées au petit matin par le tocsin résonnant de tous les clochers de toutes les églises avoisinantes se dirigèrent vers Rochefort. La cité n'était défendue que par 50 hommes du 109 ème régiment de ligne, de quelques gendarmes et de 50 gardes nationaux dont le loyalisme à la République était fort suspect. L'ensemble était commandé par le lieutenant de gendarmerie Guérin.

De leur côté les chouans étaient commandés par le chevalier de Silz, ancien officier de marine, par Audran «Capitaine de paroisse» de Berric (la paroisse réputée la plus chouanne de la région). Il semble que ce furent Montméjeanio et Chevalier de Carentoir, venus avec 68 hommes, qui prirent le commandement pour attaquer le château de Rochefort, où étaient réfugiés les républicains. Il y avait également le chef de 25 chouans de Carentoir Constant Cadio et Gilles Davalo qui cachait des fusils et des munitions chez lui au Rocher en Tréal, et qui les distribuait les jours de rassemblement. A cette bataille Davalo était accompagné de sa femme Anna Ayoul. Celle-ci arrêtée quelques mois après sous l'injonction d'Hoëo-Boisgestin à ses sbires «tu feras bien d'arrêter la femme Davalo» déclara le 17 Thermidor (4 août 1794) avec un superbe aplomb, ne pas avoir vu son mari depuis plus de onze mois.

Vers midi le chevalier de Silz donna l'ordre d'attaquer. Les paysans tambours battants, cocarde blanche au chapeau, drapeau blanc déployé, pénétrèrent dans la cité par trois endroits différents.

Après avoir tenté de résister quelques instants pour la forme, ce fut le sauve-qui-peut général, la panique. Guérin et ses hommes ne tardèrent pas eux aussi à s'éclipser, précédés par la garde nationale, la première à disparaître dans la nature, comme par enchantement. Les commissaires civils, réunis, dont Le Clainche et Geslin l'ancien régisseur prévaricateur de Castellan en Carentoir, ne demandèrent pas leur reste et abandonnèrent la partie.

Où était Charles Marie durant tout ce temps? Avec qui était-il? Très certainement avec eux: ses amis républicains...

En temps que chirurgien sa place aurait dû être au chevet des blessés ... Non, il n'en est rien, il n'est question pour lui que de bagarres, d'intention d'en découdre avec le moindre chouan. Sans doute avait-il emporté un de ses deux fusils et un de ses deux pistolets, armes qu'il détenait chez lui à Saire, et qu'il réussit à sauver ne laissant sur place qu'un de ses deux sabres et son bouclier! Il n'est nulle part question de matériel chirurgical, de pansements, d'attelles, d'éclisses pour venir en aide aux blessés et aux mourants de son camp, ce qui aurait été assez normal pour un «meistre en chirurgye». Non! Charles Marie, semble-t'il, n'était animé que de velléités belliqueuses, comme nous aurons l'occasion de le remarquer dans plusieurs autres circonstances quelques mois plus tard.

Ce que l'on sait avec exactitude: dans l'affolement général, devant la formidable pression exercée par des centaines de chouans armés de redoutables couteaux à pressoir, de faux emmanchées à l'envers patiemment aiguisées, quelques uns détenteurs de fusils, ce fut une totale débandade des républicains. Charles Marie Hurel comme tous les autres révolutionnaires s'enfuit en laissant sur place son sabre et son baudrier comme nous l'avons déjà relaté.

Pour cette raison Michel de Galzain l'a traité de pleutre, ce qui me semble un peu exagéré, au regard de la situation, de l'extrême danger du moment, devant des hordes de paysans déchaînés, plus ou moins avinés, avides de participer au butin.

Le rapport de force était vraiment trop inégal...

Il y eut de nombreux morts, surtout du côté républicain, entre autres: Duquero, le chirurgien Denoual, le fils Bourgerel furent parmi les victimes. En souvenir de leur sacrifice la ville fut durant vingt ans appelée ROCHE-des-TROIS par décret de la Convention.

Moins de quinze jours après le «sac de Rochefort» la répression fut terrible, surtout dans la région de Questembert et de la Roche-Bemard, cité elle-même occupée un certain temps par les chouans, comme devait l'être La Gacilly en 1795. La célèbre colonne infernale commandée par Le Batteux, émule du sinistre Carrier avec qui il était en rapport, se rendit tristement célèbre par son action répressive. Loin de ramener la paix dans les esprits elle ne fît que les exacerber.

Dans la région de la Bourdonnaye, au dire de Michel de Galzain, la répression fut dirigée contre le château par Charles Marie HUREL, sinistre personnage, qui s'était mis à la tête des «patriotes». Il ne trouva, en tout et pour tout, que des ornements d'église provenant de la chapelle de Bonne-Rencontre. Pour y être né Charles Marie en connaissait parfaitement les coins et les recoins et sans doute était-il persuadé de faire d'importantes trouvailles, ce qui ne fut pas le cas. Les perquisitions se faisaient dans son domaine et il n'est pas douteux au dire de l'abbé Chenorio qu'il en fut souvent l'instigateur et le guide, mais cachant le plus possible sa présence pour ne pas aggraver sa situation fortement compromise. Parmi les patriotes Charles Marie était classé comme un des plus dangereux par les chouans. Il avait parait-il ambitionné de prendre les avantages de son maître le marquis de la Bourdonnaye.

Deux mois se sont passés depuis la défaite républicaine. La tension monte de plus en plus dangereusement, la terreur s'amplifie dans les deux camps. L'arrestation du chef chouan Montméjean de Carentoir dont la tête est mise a prix ainsi que celles de ses partisans devient objectif prioritaire. La fureur s'empare des patriotes qui s'en prennent aux paroissiens. En témoigne cette lettre expédiée par la sûreté publique de Ploermel 18 mai 1793:

Nous apprenons que MONTMEJEAN et Compagnie se répandent dans les paroisses de Carentoir et de Tréal et qu'ils font même des incursions dans celles de Ruffiac et de Saint Nicolas du Tertre dépendant de notre district, et qu'ils nhésitent pas à nouveau à soulever les habitants de la campagne qu'il se dit une messe à la chapelle de Saint Bonaventure située sur le milieu d'une lande en Tréal ou Carentoir, à laquelle tous les fanatiques du pays se rendent, il est urgent de faire cesser ces abus en donnant la chasse à MONTMEJEAN et à sa suite, comme vous avez de la troupe à votre disposition, nous pensons que vous pourriez vous concerter avec la municipalité de Malestroit à qui nous écrivons en ce moment et envoyer un détachement dans ces parages afin de la purger de ces vauriens qui la désolent.

Peut-être serait-il prudent de démolir ou d'incendier la chapelle de Saint Bonaventure - ou Bonne Rencontre - qui sert de lieu de rassemblement à la paroisse fanatisée. Enfin nous pensons que votre zèle vous portera à prendre toutes .... etc

signé: J.MANCEL, MUINART, Pt BECHU , Le GOASBE , LUCAS...

Le 26 mai du même mois la répression au «Sac de Carentoir» fut elle aussi terrible à Carentoir. 14 jeunes gens de cette commune réfractaires à la conscription furent capturés dans les auberges par Hoeo-Boisgestin, mais ils furent délivrés dans la nuit par l'irruption de Montméjean, de Gilles Davalo, et de Pierre Chevalier «sabre à la main et couteau entre les dents».

D'autres expéditions militaires à gros effectifs eurent lieu également en novembre 1793. Elles étaient destinées à reprendre en mains les populations, effectuer des perquisitions pour se procurer chevaux, bétail, cuirs et faire rentrer l'emprunt forcé, traquer et arrêter les prêtres réfractaires.

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