Nous ne connaissons pas les circonstances de la mort de Mathurin Houeix et de Pierre Nozay les deux beaux-frères mariés aux deux soeurs Hurel, filles du maître en chirurgie.
Nous connaissons la signature de Pierre Nozay figurant sur son acte de mariage. L'écriture manque légèrement de sûreté. Elle est accolée à celle de sa jeune épouse Perrine Josèphe qui elle par sa fermeté semble vouloir faire connaître que c'est bien elle qui portera la culotte dans le ménage.
Hélas, pas pour longtemps. Un an ou deux s'écoulent et les deux soeurs se retrouvent veuves toutes les deux, Perrine Julienne en septembre ou octobre 1798 après 24 mois de mariage seulement. Elle est âgée de vingt et un ans et a une petite fille à élever: Anne Houeix. Sa sur Perrine Josèphe, la cadette, perd son mari Pierre Nozay également en 1798. Elle a vingt ans et deux enfants à élever: Anne-Marie et Emmanuel Nozay. Mais il n'existe aucune preuve, aucun document, aucun acte oÙ il est fait mention du décès des deux maris. Seuls les remariages de leurs deux épouses confirment leur disparition. En effet, les chouans tombés au combat n'étaient pas recensés, ne figuraient sur aucun registre officiel (rares, certains actes furent consignés clandestinement par des prêtres réfractaires).
Par contre les républicains et les soldats bleus disparus faisaient l'objet d'enquêtes approfondies. Les deux beaux-frères sont décédés l'un à trente et un ans, l'autre à vingt huit environ.
Pour quelle raison sont morts si jeunes ces deux hommes dans la force de l'âge? Pourquoi n'y a t-il pas eu d'actes de décès dressés ?
Encore un mystère qui ne sera sans doute jamais éclairci. Tout au plus peut-on avancer l'hypothèse pour l'un comme ou l'autre, pourquoi pas pour les deux, de morts violentes, lors d'expéditions de chouannerie.
On sait qu'il y avait à la Haute Bouexière un jeune chef chouan Houeix. On peut aisément supposer que Mathurin Houeix était ce chouan, lorsque l'on connaît le fief de chouannerie qu'était la Bourdonnaye, où il habitait avec sa famille. C'était le lieu de rassemblement de tous les chouans des alentours, le point de départ de la plupart des expéditions du secteur. Même le Général Sol de Grisolles, l'adjoint de Cadoudal y est venu à plusieurs reprises. La transmission des ordres et des nouvelles se faisait par des «courriers» qui se tenaient jour et nuit à la disposition des chefs chouans.
Mathurin Houeix sans doute chef des insurgés de la Haute Bouexière a t'il laissé sa vie dans la grande tourmente révolutionnaire? C'est plus que certain. Ce fut aussi très certainement le sort de son beau-frère Pierre Nozay.
Perinne Julienne se remaria le 6 pluviose de l'an VII (25 janvier 1799) après quatre mois de veuvage avec Jean Marie Frinault , «Honorable garçon» comme il est stipulé sur leur acte de mariage. Ils étaient tous les deux nés en 1779. Leur petit fils exercera le métier d'horloger à Redon.
Perinne Josèphe, demoiselle Hurel, veuve Nozay, se remarie en 1802 avec le beignonnais Gabriel Frinault.
Beignon était loin d'avoir la réputation d'être un centre très actif de chouannerie. En témoigne une lettre de la municipalité où après avoir énuméré les provocations continuelles de quelques individus le plus souvent apparentés aux prêtres réfractaires, le maire dénonce ceux qu'il considère comme les responsables majeurs d'une hostilité aiguë à la Nation :
«... Ce qui souffle et entretient le fanatisme et la désobéissance aux lois dans notre commune, c'est la présence de nos anciens prêtres qui restent cachés chez leurs parents, leurs amis, leurs pénitentes où ils confessent, prêchent, disent la messe et administrent tous les sacrements, à tous ceux qui jurent de désobéir à la Nation, à la loi, et de détester de toute leur âme la constitution et la République. Les plus furieux sont Guillaume, du Village de l'Epinay, un ci-devant Carme du village de Trélan, Régnault ci-devant vicaire et Deshayes du Bourg. Une bonne sur du village de Trélan nommée Anne Chérel se dit inspirée du ciel pour les seconder, elle s'agite en tous sens, comme une prophétesse et par ses pernitieuses prédications trouble l'ordre établi par la loi et fanatise tous nos habitants des eux sexes.
Nous vous prions, citoyen administrateur, de purger notre paroisse des sus-dits incendiaires qui sont les plus dangeureux dont nous avons connaissance. Cet exemple est nécessaire pour arrêter les progrès du mal et prévenir une explosion dont les effets seraient incalculables.
Fait et arrêté à Beignon le 9 Juin 1793.
Signé Durand procureur de la commune »
A Beignon, on en reste aux imprécations, ailleurs on agit, malgré le fameux combat du Pont du Secret, malgré le défilé cocardes blanches au chapeau dans le bourg, en plein jour! Malgré le pochard fusillé contre le mur de l'église «pour l'exemple».
Les remariages des deux soeurs furent célébrés par le Sieur Brenugat, l'omniprésent officier ministériel de Carentoir, (il signera encore en 1824). Il devait animer pour respecter les directives du Directoire, les nombreuses fêtes de la jeune république. Pour donner plus de solennité aux festivités, qui en manquait singulièrement et comme la population carentorienne, acquise pour la plus grande partie au parti royaliste et à la chouannerie, ne mettait aucun empressement à participer aux joyeusetés républicaines, il lui vint à l'idée de célébrer tous les mariages de la commune le même jour. Il y eut ce 4ème jour des jours «sans-culottides» de l'an VII sept célébrations de mariages civils, ce qui bien évidemment devait amener un peu d'animation dans sa commune et beaucoup de signatures.
C'est ainsi que les deux soeurs Hurel convoleront ce même jour: le 4ème des jours complémentaires de l'an VII (20 septembre 1799). Les jours complémentaires se situaient avant le 1er vendémiaire pour arriver aux 365 jours de l'année traditionnelle. Bien entendu les Saints furent bannis du calendrier républicain, mais ils furent avantageusement remplacés, comme on peut s'en rendre compte par les quelques extraits suivants, par de savoureux vocables :
Premier vendémiaire: raisin
Deux safran
Trois chateigne
Quatre colchique
Cinq cheval
Six balsamine
Sept carotte
Huit amarante
Neuf panais
Dix cuve
Des berceaux vont bientôt être installés au foyer des deux couples. A Beignon où Perrine Josèphe Hurel vient d'accoucher d'un fils en mars 1800, qui portera le prénom d'Emmanuel et le nom de son père décédé Nozay. Bien entendu il sera élevé par sa mère Perrine Josèphe mais aussi par son beau-père Gabriel Frinault.
Il deviendra prêtre, le petit-fils du révolutionnaire anticlérical! Il signera le registre paroissial et exercera durant de longues années son ministère dans sa paroisse natale: Beignon.
Perrine Josèphe et Gabriel auront de nombreux enfants, beaucoup de petits enfants et encore plus de descendants.
J'en fais partie.
Jacques BERHAUT