Lettres du jeune Gérard à ses
parents
Cette page est la transcription des lettres que j'avais
envoyées à mes parents, entre 7 et 19 ans, lors de voyages faits
par moi. Maman les ayant pieusement dactylographiées, il ne m'a
pas été trop difficile de les récupérer. Dans la mesure du
possible, je me suis efforcé d'ajouter au texte des
photographies prises par moi à l'époque, ainsi que quelques
commentaires (en italique)
pour en faciliter la compréhension et replacer ces écrits dans
le contexte de l'époque.
Il faut en effet considérer que ces lettres reflètent la vision
sur le monde d'un enfant, puis adolescent, dont les opinions
naïves et abruptes ne correspondent pas nécessairement celles de
l'adulte qu'il est devenu. Mais c'est un témoignage d'époques
révolues.
Contenu:
- Gérard
enfant: 7 et 9 ans (1946 - 1948)
- Séjour en
Angleterre (1952)
- Voyage en
Italie (1954)
- Séjour en
Espagne (1954)
- 2ème séjour
en Espagne et Portugal (1955)
- Stage en
Algérie (1958)
Mardi 16 juillet 1946 (Gérard a 7 ans et a passé le
troisième trimestre à Chalon, où on l'a envoyé à l'école
primaire du quartier.)
Ma chère maman,
Profitant d'un moment où j'étais tranquille je vous écris cette
lettre.
Vendredi à 9 heures la distribution des prix commence et je vous
la raconte. Elle se passe au théâtre universel. On arrive, on se
place sur les bancs. Tout à coup la Marseillaise commence. A la
fin de la Marseillaise entrent M. Le sous-Préfet et les
personnes qui le suive(nt),
par exemple M. le Principal et jusqu'à Papé. Ce sont les
personnes qui sont dans les fauteuils et arrivent aussi les
personnes qui sont sur les bancs, et une belle musique commance
(commence). Enfin un
professeur se lève et raconte une longue histoire sur un peintre
de Rome, mais pas un peintre comme ceux qui sont de Vannes, un
très grand peintre dont j'ai oublié le nom!
Après cette histoire, M. le Principal donne les prix des grandes
classes, pas aux petites parce que les livres sont très chers et
que les petits font du travail moins dur que les grands. La fin
de la distribution des prix se termine par des discours.
Et maintenant je vous raconte mon voyage à la
Chaux-des-Crotenay, non moins intéressant. Arrivé à
Lons-le-Saunier on s'arrête pour causer ce qui me repose et au
bout d'un long quart d'heure on repart cette fois pour la Chaux.
Pas loin de la Chaux-des-Crotenay on s'arrête pour dîner et à 8
heures on arrive. Ma joie fut extrème. On bavarde un petit
moment et allons visiter la maison et les chambres où on devait
coucher et je m'endormis content de cette journée sur mon
matelas pneumatique. À peine levé je cours au jardin et m'amuse
à monter sur une poutre qui conduit au grenier. L'après midi je
pars à 5 km de là en Suisse. J'ai oublié de vous dire qu'on a
dîné auprès du lac de Narlais, il me semble.

Gérard au lac de Narlais
Pendant le déjeuner je ne suis pas lassé d'entendre les sonores
ding ding dong des clochettes des vaches. J'ai vu ainsi des
troupeaux de vaches avec leurs clochettes et un gros troupeau de
moutons.
Les clochettes des moutons et surtout des vaches ont des sons
bien divers, les unes font ding-dong, les autres font ding,
ding, ding, ding, e-e-e-, ou
dong-e-edong-e-e-dong-e-e-dong--e-e-e, ou dong, dong, dong.
Là bas les montagnes sont très jolies, il y en a qui sont
couvertes de sapins. Il y a eu aussi sur une montagne couverte
de sapins, tant d'arbres qui sont tombés à cause d'un orage,
qu'il y en avait pour des millions.
Je vous embrasse bien fort, Alain aussi ainsi que papa et Ninine
(Mathurine, la bonne).
Votre petit garçon.
P.S. Maman, avez-vous des nouvelles de Lison (Lison D. une petite voisine)
? Ninine est elle bien remise? Dites moi des nouvelles de mes
petits amis.

Gérard en 1946, avec ses
amis
Lettre de Gérard
à 9 ans (été
1948)
Nous avons passé un très bonne semaine à Chalon. Béryl et
Marjorie sont là en ce moment mais elles repartent ce soir (Béryl et Marjorie sont les nièces
de Molly, la correspondante anglaise de ma tante Paulette).
Béryl parte très bien le français mais Marjorie presque pas.

Gérard et Alain à Givry,
avec un cousin, été 1948
Hier nous avons été à Beaune visiter la Collégiale et l'Hôtel Dieu. La collégiale est très vieille
et en style roman bourguignon. Il y a également de très vieux
vitraux, mais nous n'y connaissons rien.
L'Hôtel Dieu est magnifique. Nous avons visité en premier une
grande pièce divisée en deux parties, une très longue et une
autre, par une porte et une boiserie. Cette pièce est très haute
et à une voûte en bois maintenue par des poutres en forme de T
renversé. Il y a la même hauteur entre le plancher et la poutre
horizontale qu'entre le plafond et cette poutre. La première
partie était une chambre de malades. Il y avait des lits de
chaque côté de la pièce, fermés par des rideaux. A côté il y
avait une chaise et une tablette portant un verre et un petit
vase en étain. En dessous un pot de chambre en cuivre. Il n'y
avait aucun malade dans cette pièce naturellement. De l'autre
côté de la porte il y avait une chapelle. Il suffisait donc
d'ouvrir la porte pour que les malades puissent entendre la
messe. La chaire était d'ailleurs dans la chambre des malades.
Il y avait un vitrail dans le fond de la chapelle, mais il a été
détruit pendant la guerre à coups de pierres. Comme il y avait
des documents écrits il a pu être reconstitué mais les couleurs
sont moins belles.
Après cette pièce nous avons vu la cour et le toit en tuiles
rouges, noires et jaunes. Nous avons ensuite visité les
cuisines. Là l'ancien voisinait avec le moderne. A côté de
l'éplucheuse électrique ou de la table chauffante on voyait une
grande cheminée avec une crémaillère et des broches. Les anciens
avaient d'ailleurs résolus le problème du tourne-broche en
fabricant un petit moteur à poids et à trois vitesses. Un
automate placé à coté a l'air de faire tourner cet appareil.
Nous avons ensuite visité la pharmacie. Elle était remplie de
bocaux anciens et tous pareils qui, parait-il, représentent une
fortune. Il y avait également beaucoup d'objets en étain. Il y
avait à côté une petite pièce, presque sans ouvertures avec des
murs très épais, qui servait de coffre-fort.
Puis nous avons visité le musée. Nous avons vu de très belles
tapisseries, puis le guide nous a montré sur le livre d'or, les
signatures de Louis XIV, d'Anne d'Autriche et d'un personnage
qui les accompagnait. Ils écrivaient tous fort mal, surtout
Anne. Dans une autre pièce du musée il y avait un tableau
représentant le Jugement dernier. Un ange pesait les morts dans
une balance, il était entouré de saints et, notamment, des
fondateurs et des personnages avec qui ils parlaient. Ce tableau
était très fin et, même à la loupe, on pouvait distinguer les
détails: poils de fourrure, reflets des diamants. (Il s'agit du polyptyque de Rogier
van der Weyden, actuellement exposé à l'hospice de Beaune)
extrait de l'article de
Wikipedia
Tante Maddy nous a payé une glace, et nous sommes rentrés
ensuite.
Je vous embrasse bien fort.
Lettres de Gérard lors de son séjour
en Angleterre (1952 - Gérard vient d'avoir 13 ans)
Je suis à Londres depuis deux jours et je suis très content.
J'ai fait une très bonne traversée mais heureusement qu'il y
avait Alain (un voisin plus
âgé à qui on avait confié Gérard pour le voyage) parce
que tout le personnel du bateau parlait anglais et j'aurais eu
du mal à trouver ma cabine. Celle-ci était presque au fond d'un
couloir, il n'y avait pas de hublot parce que plus de la moitié
de la cabine était au dessous du niveau de l'eau, mais c'était
très bien quand même. Dans la même cabine il y avait un prêtre
français de Nantes, il couchait dans le lit du bas. Dans la
cabine à la droite de la mienne il y avait Mlle Lainé et son
amie et dans celle de gauche il y avait deux français à peu près
de mon âge et qui habitaient St-Malo: un garçon et une fille.
Ils étaient très gentils. Je me suis couché vers 10 heures et
avant j'ai parlé beaucoup avec eux. J'avais dit à Alain de me
réveiller quand il aurait trop sommeil mais il n'est venu qu'à 5
heures du matin. Je n'avais pas beaucoup dormi car il faisait
très chaud et j'étais bien content d'aller prendre un peu l'air
sur le pont. J'y rencontrais le frère et la sœur dont je vous ai
déjà parlé. Nous étions déjà derrière l'ile de Wright. J'ai
remarqué qu'il y avait beaucoup de champs dans cette île mais je
n'ai pas vu de maisons en dehors d'un petit village.
Quand nous sommes arrivés à Southampton il était 7 heures. Les
stewards faisaient déjà les lits mais Alain dormait encore. J'ai
été le réveiller mais il s'est ré-endormi alors j'ai été le
réveiller une seconde fois. Les douaniers anglais parlaient
français ce qui était très commode. On n'a même pas ouvert ma
valise mais ceux qui, étaient avec moi ont eu la leur ouverte.
Il est vrai que j'avais perdu Alain et que j'avais l'air un peu
perdu. Mais par contre il y a eu une vérification de passeport
qui a duré près de 10 minutes. Nous avons pris le train pour
Londres et j'ai remarqué ceci de particulier c'est qu'on ne
prend pas les billets en entrant et en sortant de la gare mais
qu'on les poinçonne seulement dans le train. Les wagons anglais
ne sont pas très jolis et assez vieux, il y a un couloir mais il
y a une porte dans chaque compartiment qui fait façe au couloir.
Ces wagons sont quand même très confortables. Il n'y a que deux
classes: première et troisième, les wagons de première sont
rouges et ceux de troisième verts, comme dans le métro à Paris.
Les villes anglaises font très pauvres car les maisons sont
toutes en briques et presque toutes pareilles, même à Londres et
c'est très drôle car il y a toujours des marches devant les
maisons et que les marches de 2 maisons se touchent et comme la
rampe de ces marches change de couleur et même parfois de forme
avec chaque appartement la rampe qui est entre deux portes est
d'un côté d'une couleur et de l'autre côté d'une autre couleur.
Par contre il y a des antennes de télévision partout ou je suis
passé et j'ai calculé qu'à peu près 20% des maisons que j'ai vu(es) avaient la télé. (La télévision était, pour moi,
une nouveauté qui n'avait pas encore atteint la Bretagne. Je
ne l'avais vue qu'une seule fois, dans la vitrine d'un magasin
parisien. C'était, je m'en souviens, un documentaire sur les
esquimaux!)
Vous direz à Alain que les bus là bas sont pareils au sien et
qu'ils sont aussi rouges.
Nous sommes enfin arrivés à Londres. Molly et Béryl nous
attendaient à la gare. J'ai trouvé très drôle de voir les taxis
entrer dans la gare et s'arrêter devant les trains. Nous avons
été prendre une tasse de thé puis j'ai dit au revoir à Alain.

avec Béryl
Nous avons pris le métro et le bus pour aller jusqu'à
l'appartement de Molly. Puis Molly est partie à son travail mais
Béryl, qui était en vacance m'a emmené dans la "city" et nous
avons visité St-Paul. A une heure nous avons déjeuné. Dans une
même assiette il y avait un œuf sur le plat, deux saucisses, des
pommes de terre à l'eau, de la salade et quelques autres légumes
dont je ne me souviens plus, le tout recouvert d'une espèce de
sauce jaune très épaisse, délicieuse d'ailleurs et le tout cuit
dans de la graisse. Résultat: j'ai eu mal au foie pendant toute
la soirée. A cinq heures nous avons pris un thé assez copieux,
puis nous avons été chercher Molly à son magasin. Après nous
avons été prendre notre dîner dans un restaurant. Mais c'est
très particulier. Nous avons pris un ticket à la caisse et nous
avons choisi une table. Nous y avons laissé la moitié de notre
ticket et avec l'autre moitié nous avons été prendre chacun une
assiette au bout d'un espèce de comptoir. Puis nous avons avancé
lentement le long de ce comptoir sur lequel il y avait une
cinquantaine de plats avec des cuillères. Il y avait des légumes
en salade de toutes sortes et accommodés de toutes les façons
possibles. Au bout du comptoir nous avons pris un bol de potage
et nous avons, avec une louche en matière plastique recouvert
les légumes d'une épaisse couche de sauce jaune, ce qui faisait
une assiette avec dessus un dôme jaune haut de près de dix
centimètres. Je n'avais jamais tant mangé. D'ailleurs j'ai
remarqué que les anglais mangeaient beaucoup plus que les
français malgré le rationnement (le rationnement avait continué plusieurs années
après la fin de la guerre en Angleterre, alors qu'en France
les choses étaient assez rapidement redevenues normales).
Ils n'ont pas beaucoup de chaque chose mais ils ont une infinité
de choses.
Hier nous avons fait une visite de Londres en bus, cela nous a
pris deux bonnes heures. Quand cela a été terminé, vers trois
heures de l'après midi, nous avons déjeuné, puis nous avons
traversé Londres en vedette, sur la Tamise. Après nous avons
passé la soirée chez des amis de Molly et Béryl. Ils avaient
trois enfants dont l'aîné devait avoir 10 ou 11 ans mais je ne
les ai pas beaucoup vus car les enfants anglais se couchent très
tôt, à huit heures au plus tard. Nous avons passé le reste de la
soirée à boire du thé et à regarder des programmes de music-hall
à la télévision. Nous étions sept et après la télévision les six
grandes personnes ont beaucoup parlé. Je commence à comprendre
le sens général d'une conversation mais les anglais sont très
gais et arrivés à la moitié de leur phrase ils éclatent touours
de rire en continuant de parler ce qui fait qu'ils sont
incompréhensibles. Je comprends d'ailleurs beaucoup mieux les
enfants.

Molly, lors d'un séjour en
France l'année précédente
Ce matin j'ai été tout seul à la messe en métro, mais il y avait
deux quêtes et les pièces les plus petites que j'avais étaient
des pièces en argent de six pences (25 Fr) ce qui fait que J'ai
déboursé 50 Fr pour une seule messe. Je n'ai pas bien compris le
sermon mais je suppose qu'il devait être très drôle car les
fidèles riaient tout le temps. Ce qui m'a étonné c'est que
j'entendais le prêtre qui parlait de métro et de téléphone mais
je ne sais pas à propos de quoi.
J'ai passé le reste de le matinée chez les gens qui habitent au
dessous de chez Molly. Il avaient un petit garçon très gentil.
Pour le déjeuner à une heure et demi nous avons eu le plat
national anglais:"Rosbeef and pudding " et comme dessert une
coupe avec de la crème, des bananes coupées en rondelles, du
gâteau à la confiture et le tout arrosé de lait concentré
Nestlé. Ce que je trouve embêtant c'est que les anglais ne se
servent presque pas de serviettes à table et ne boivent pas
pendant les repas. Ils boivent en dehors des repas du thé et de
la limonade avec du soda. A part cela nous mangeons des caramels
et des glaces à longueur de journée, mais moi qui ne suis pas
habitué à ce régime j'ai souvent mal au foie et le soir j'ai la
colique, mais celà n'a pas grande importance (à cette époque, le "mal de foie"
était une maladie typiquement française, pratiquement inconnue
des autres pays européens. On n'en parle plus; il est plus
chic de parler de "gastro" et, de toutes façons, le foie
n'avait rien à faire là dedans. C'est comme ça).
Dans le métro on ne poinçonne pas les billets mais les voyageurs
les rendent à l'arrivée. Comme personne ne regarde il serait
très facile de voyager en métro sans payer.
Je suis à Sunbury depuis dimanche après-midi. Je suis vraiment
très bien. Je m'entends très bien avec Roger mais nous ne
parlons pas beaucoup parce qu'il ne parle qu'anglais et que je
ne le comprends pas beaucoup. Il a commencé le français
seulement au mois de septembre l'année dernière. Par contre je
comprends très bien madame Britton et je crois que parle
maintenant autant qu'en France. Pour Monsieur Britton c'est
aussi très bien parce qu'il parle un peu français et quand je ne
le comprends vraiment pas il m'explique en français.
Malheureusement je ne le vois que le soir quand il rentre de son
travail. D'après ce que j'ai pu comprendre dans les explications
des Britton il est architecte de gare et de tous les bâtiments
qui touchent aux trains aussi les Britton voyagent-ils presque
sans payer. De plus ils ont six grands voyages gratuits. Je ne
vois pas souvent Roger non plus car il est demi-pensionnaire
mais aujourd'hui est le dernier jour d'école.

La famille Britton
Je vais maintenant vous raconter en détail ce que nous avons
fait à Sunbury.
Je suis arrivé dimanche après midi vers trois heures avec Molly
et Béryl. Sunbury est une ville de 20.000 habitants mais elle
est plus étendue que Vannes parce qu'il y a beaucoup de jardins
et de prairies dans la ville. Les Britton habitent dans une
petite maison de sept pièces avec une petite cour devant et un
jardin derrière. D'ailleurs toutes les maisons à Sunbury sont
presque pareilles. Il y a trois types de maisons et seuls les
détails changent. Là bas on m'a emmené voir ma chambre, elle est
minuscule et s'il y avait un lit à deux places on ne pourrait
pas y mettre autre chose, mais je suis très bien quand même.
Après nous avons eu un thé, puis Béryl est partie.
Le soir madame Britton a joué un morceau de mandoline puis de
piano et après madame Britton et moi avons joué chacun un
morceau de piano. Puis on alla se coucher l'un après l'autre
suivant l'âge. Norman, le petit frère de Roger se couche à 8
heures, Roger à 9 heures et moi à 9 heures 1/2. J'ai très bien
dormi mais il y avait une température très haute (80° à
l'intérieur des maisons, pas des degrés centigrades) et il y
avait aussi beaucoup d'avions, à peu près un toutes les 4 ou 5
minutes car nous sommes à 3 kilomètres de l'aéroport de Londres.
Le lendemain matin j'ai pris un breakfeast à 9 heures: Thé,
corn-flakes, tartines, toasts et œuf à la coque, mais l'œuf
seulement deux fois par semaine (les anglais ont été rationnés, après la guerre, plus
longtemps que les français. œufs, viande, sucreries, savon
etc. ne pouvaient s'obtenir qu'en échange de tickets de
rationnement. Étant un touriste étranger, j'avais droit à un
peu plus de tickets que les anglais; ce qui a bien amélioré
l'ordinaire). Puis avec madame Britton nous avons
visité Sunbury à bicyclette, à gauche. Puis nous avons été
déjeuner à l'école de Norman avec les demi pensionnaires.
C'était vraiment très drôle car tous les élèves qui étaient à ma
table, surtout les petites filles (c'est une école mixte (chose inconnue en France à
l'époque)) me posaient les questions les plus
saugrenues sur la France. Ainsi elles m'ont demandé s'il y avait
des briques, des gares, des bancs, des magasins etc... en France
et c'est à croire que les petites anglaises considèrent la
France comme un pays de sauvages.
Après nous avons été à la piscine de Sunbury puis nous sommes
rentrés vers 4 heures et à 5 heures nous avons été voir la
télévision chez des voisins qui ont un petit garçon qui a
deux semaines de moins que moi par contre il a quelques
centimètres en plus, mais pas beaucoup. Je m'entends d'ailleurs
très bien avec lui et je crois qu'il a plus le même caractère
que moi que Roger. Nous allons tous les jours voir la télévision
et je suppose qu'Alain serait content d'être en Angleterre.
Après le thé nous avons été passer la soirée avec une cheftaine
très gentille à faire un grand feu et à causer parce que le
local de scouts est juste derrière la maison. D'ailleurs tout le
monde ici est plus ou moins scout: Roger est scout, Norman
louveteau, Monsieur Britton routier. Madame Britton n'est pas
guide mais c'est tout juste. Je trouve d'ailleurs qu'elle a tout
à fait le même genre et le même caractère que maman.

moi aussi j'ai été enrôlé!
Le lendemain après le breakfeast j'ai fait un peu de piano
pendant que madame Britton faisait les commission. Je dis un peu
mais beaucoup serait mieux car j'en ai fait plus de deux heures
et que j'ai appris entièrement un morceau de six pages, il et
vrai qu'il était assez facile. Après nous sommes allés manger à
l'Ecole puis nous sommes rentrés à la maison et avons été voir
la télévision, puis Roger, le voisin dont je vous ai parlé et le
correspondant de Desplanques (Jacques,
un de mes deux grands copains de l'époque) John Richard
nous avons été à la piscine. Le soir Monsieur Britton nous a
fait faire une promenade en auto ainsi qu'à la cheftaine qui
était venue nous voir juste à l'heure du dîner-thé et qu'elle
avait pris avec nous. Ce n'est pas génant car ce thé se compose
uniquement de légumes en salades, de charcuterie et de petits
gâteaux à la crème. Maintenant je me méfie beaucoup de toute
cette crème car la plupart me donne envie de vomir. Il y en a de
fades sans goût, d'autres au contraire sont salées ou sucrées à
profusion elles ont seulement un très bel aspect.
Mardi matin il faisait moins chaud et même il y avait un peu de
crachin aussi nous avons été visiter l'école de Roger. C'est un
immense bâtiment de brique très moderne, immense et très joli.
Partout les parquets sont cirés, il fait une impression monstre
mais il y a moins d'élèves qu'au lycée de Vannes et pas de
pensionnaires. Il y a en particulier une immense salle de
théatre de 1.200 places avec des orgues de cinéma. Puis nous
avons pris le bus pour revenir car l'école se trouve à Hampton à
6 kilomètres de Sunbury. En arrivant nous avons pris un
ice-cream. Madame Britton en prend au moins cinq dans la
journée. Puis nous avons regardé la télévision, le soir nous
avons lu et bavardé car j'arrive maintenant assez bien à suivre
une conversation.
Monsieur Britton et Roger
devant participer à un camp scout, à proximité de Brighton,
j'ai fait moi aussi partie du voyage. Ce qui explique la
lettre qui suit.
Je campe depuis une semaine et je suis très content. Je
suis arrivé samedi un peu avant midi. Il faisait un temps
horrible comme il y en a en Angleterre quand il pleut c'est à
dire: pluie torrentielle, vent à décorner des bœufs et froid
terrible, le tout accompagné d'éclairs et de tonnerre. Je suis
vite entré dans la tente que je partage avec quatre autres
garçons et j'ai rangé mes affaires puis nous avons dîné, c'était
très bon mais je n'ai pas mangé beaucoup car tout était cuit
dans la graisse. Je n'ai pas eu mal au foie et c'est le seul
dîner comme çà. Ensuite tous les scouts se sont réunis dans une
grande tente et ont parlé. J'ai constaté qu'à part Roger qui ne
dit rien car il est toujours la paresse en personne et M.
Britton personne ne parlait Français et je crois que j'ai fait
beaucoup de progrès dans ce camp car on me parlait tout le temps
pour me donner quelque chose à faire et j'étais forcé de
répondre. D'ailleurs tous disent que je parle mieux et surtout
que je comprends mieux qu'en arrivant.
Tous les jours se passent ainsi: A 8 heures réveil jeux, dîner,
puis toilette, inspection, breakfeast, jeux, dîner, cuisine,
jeux, thé, jeux, veillée avec thé et biscuits.

revue de détails
Dimanche j'ai été à la messe avec deux scouts catholique pendant
que les autres allaient seulement communier à l'église
anglicane.
Mardi nous avons été à Brighton car nous campons à 10 km de
cette ville et nous avons constaté qu'il était très facile d'y
dépenser de l'argent quand il fait trop froid pour se baigner.
En effet quand nous parlons il y a un petit nuage de vapeur qui
sort de notre bouche comme en hiver, il y a un brouillard que je
trouve très épais (moi seulement, pas les anglais qui
connaissent le "Pea-soup") et j'ai toujours mon gros pull over.
Voilà ce que nous avons fait à Brighton: Nous avons d'abord été
voir la succursale du Musée Tussaud. C'est très important et
plus important que le Musée Grévin. En plus dans la chambre des
horreurs tout était animé. Il y avait là une chose fort drôle:
C'était un homme attaché dans une boite dont le couvercle était
garni de poignards, celui-ci se refermait sur l'homme, puis on
rouvrait et on voyait à la place de l'homme cette inscription en
Anglais; "Parti pour-prendre son déjeuner". Après nous avons
déjeuné (le déjeuner nous était payé) puis nous avons été dans
le "Pier Palace". C'est une sorte d'immense construction bâtie
sur pilotis et qui contient un grand nombre d'amusements depuis
le théâtre jusqu'au billard japonais en passant par la maison
hantée et les glaces déformantes. En sortant de là j'ai acheté
pour Alain et pour moi deux des fameux "rochers de Brighton"
(C'est un sucre d'orge géant d'une sorte de guimauve). J'ai
calculé que j 'ai dépensé 3 shillings plus 1 shilling que la
grand mère de Roger m'avait donné (la monnaie anglaise était alors assez compliquée: la
livre était divisée en 20 shillings; le shilling divisé en 12
pence; le pence divisé en 4 farthings, dont l'usage avait déjà
pratiquement disparu. Enfin, la guinée vallait 21 shillings.
Plus tard, ils ont mis de l'ordre dans tout cela..) Ce
matin celle-ci est venue nous voir et a été étonnée de voir
combien j'avais pris des couleurs et c'est vrai que je n'ai
jamais été si rouge, de plus j'ai engraissé de plusieurs livres,
mais je ne peux pas vous dire mon poids en kilos car je ne
connais pas le nombre exact de livres dans un kilo.
Il est courant que nous déjeunions dans la pension de Norman.
Madame Britton pendant la période des classes y va tous les
jours mais en revanche elle surveille les enfants pendant qu'ils
dinent et pendant la récréation qui suit. Nous mangeons
différents légumes et viandes en salade et le plus souvent un
gâteau avec de la crème.
Norman n'est pas très gentil ni très sage il est très polisson
et a un peu le même genre qu'Alain mais est très bon élève en
classe. Ce trimestre il a été 5ème sur 50 élèves.
Non la piscine n'est pas gratuite, c'est 3 pences (12 Fr - 1,80 €) pour y aller, mais
je paye toujours la piscine ou le bus ce qui fait que j 'ai déjà
dépensé 500 Fr (75,75 €).
Heureusement Madame Britton donne parfois 100 Fr (15,15 €) à ses enfants et
je suis considéré comme enfant.
Demain nous allons visiter Windsor.
Je vous envoie ma photo et celle de Roger prise par M. Britton.
Je suis moche mais Roger est bien ressemblant.

La fameuse photo
Cher Alain
Je t'avais promis de t'envoyer une lettre et comme tu le vois,
je tiens ma promesse.

Alain en 1952
J'ai passé le week-end à Londres chez Molly. J'ai pris le bus à
Sunbury puis le métro qui est aérien jusque chez Molly. En
arrivant nous avons pris le thé c'est à dire une assiette dans
laquelle il y avait des quantités de légumes en salade le tout
arrosé de sauce jaune et d'un goût très curieux qui rappelle un
peu celui de la mayonnaise, c'est d'ailleurs très bon, puis des
gâteaux et du thé.
Nous avons pris le métro jusqu'à une station un peu éloignée du
centre puis deux escaliers roulants, hauts 3 à 4 fois comme ceux
qu'il y a dans les métros ou les magasins en France mais
marchant deux fois plus vite, pour revenir à la surface de la
terre, il est vrai que nous avions traversé complètement Londres
et que le voyage avait duré 1/2 heure. Là nous avons été dans un
immense cirque en pierre grand 4 ou 5 fois comme le cirque
Pinder pour voir de vrais cow-boys et des vrais Peaux-Rouges. On
a commencé par jouer les hymnes nationaux Anglais et Américains
pendant que tout monde était debout. Puis le spectacle a
commencé. D'abord tous les acteurs du cirque ont défilé à cheval
et ont salué les drapeaux. Puis un monsieur et son fils qui
avait seulement 11 ans ont fait des exercices à cheval en
dansant sur le dos des chevaux sans se tenir. Ensuite un clown
avec son âne, il faisait de la balançoire avec son âne, puis il
lui a mis une jupe et a dansé avec lui, puis un cow-boy sur son
cheval, il faisait tourner son lasso et attrapait en même temps
4 cavaliers au galop, ensuite 24 autres enfin le clown revint
avec un seau vide qu'il accrocha au museau de son âne puis il
actionna la queue de celui-ci comme une pompe et le seau se
remplit d'eau, il recommença une vingtaine de fois, puis quand
il n'y eut plus d'eau il s'assit sur le seau et se mit à causer.
Cinq minutes après le seau était plein d'eau. Enfin un cow-boy
célèbre que j'ai vu la télé et qui présenta son cheval "White
flash" ce qui veut dire éclair-blanc.
Après l'entracte il y eut une vieille bagnole qui cahotait et
faisait un bruit épouvantable. Toute une famille ridicule en
sortit et se mit à enlever les bagage du toit en faisant mille
singeries, puis le père après de nombreuses tentatives réussit à
remettre la voiture marche, alors il y eut une explosion suivie
d'une fumée épouvantable, puis des jets d'eau qui sortaient de
partout, finalement la voiture prit feu.
J'ai un programme souvenir avec photos que je vous montrerai et
j'ai bien remercié Molly pour ce joli spectacle.
Lundi nous avons visité Hampton court Palace c'était très
intéressant et hier nous avons été à New-Garden (Kew garden) c'est un
immense parc rempli de serres avec des plantes tropicales, nous
avons vu des oranges et des bananiers remplis de fruits très
beaux, partout des fleurs en parterres magnifiques. Il y a je
crois tous les arbres de la création depuis le simple pommier
jusqu'aux grands cèdres de 50 m de haut, presque aussi haut que
le premier étage de la tour Eiffel. Je t'embrasse bien fort et
bonnes vacances.

Hampton Court Palace
J'ai oublié de vous dire dans ma dernière lettre que j'avais
visite à Londres les musés de la sciences, de l'aviation et de
l'empire Anglais. C'était très intéressant surtout le musée de
la science où il y avait une salle spéciale pour les enfants.
J'ai vu dans cette pièce une porte qui s'ouvrait automatiquement
quand on passait grâce à une cellule photo électrique et aussi
une machine qui sonnait quand quelqu'un passait devant.
Je pars le lundi 18 août d'Angleterre, j'arriverai donc à
St-Malo mardi matin. Je vais pour vous tranquilliser vous donner
des renseignements sur le salon du bateau dont je vous ai parlé.
C'est un immense salon qui occupe toute la longueur du bateau et
qui est divisé en trois parties inégales. Un quart du bateau est
un salon dancing de 1ère classe, un autre quart est un autre
salon de 1ère classe et la moitié du bateau est un immense salon
éclairé par de vastes fenêtres dans lequel il y a de grands
fauteuils très bien rembourrés. Ces fauteuils sont groupés par 4
ou 5 autour de petites tables, le tout très bien chauffé (trop
même). Malheureusement le nombre des fauteuils est limité. Je
crois qu'il y en a 200 ou 300, mais en arrivant en avance on
peut en avoir.
J'ai décidé de tirer le plus de profit possible de ma
dernière semaine en Angleterre, et je ne fais que visiter.
Samedi j'ai été à Windsor-Castle. J'y ai pris quelques photos.
Nous y avons vu les appartements des rois et des reines et les
tombes des princes consorts, en particulier celle du mari de la
reine Victoria, le Prince Albert.

Dimanche nous avons été voir Béryl et sa famille. Lundi nous
sommes allés à Kingston où il y a un grand magasin comme les
Galeries Lafayette à Paris avec plusieurs bâtiments, ascenseurs
et escaliers roulants. Puis nous avons vu la pierre du
couronnement où étaient couronnés tous les rois d'Angleterre et
qui avait été volée l'année dernière par deux écossais. Mardi
nous avons visité la Tour de Londres où j'ai vu tous les joyaux
de la couronne y compris trois énormes diamants, gros comme une
petite balle de tennis, et toutes les couronnes royales et
impériales pour les rois, les reines, les princes consorts etc..
mais j'ai trouvé que c'était Victoria la plus maligne car elle
s'est fait faire une légère petite couronne grosse comme le
poing car les autres étaient trop lourdes. Ce n'est d'ailleur
pas celle qui a le moins de valeur.
Nous devons encore voir Westminster, aller au concert, etc.
Je suis rentré sans encombre à
St Malo où j'ai surpris toute la famille car j'avais, m'a t-on
dit, un très fort accent anglais lorsque je parlais français,
qu'il m'a fallu plusieurs jours pour perdre. C'est donc la
preuve que les séjours linguistiques, ça marche.
Voyage Italie (14
ans. Pâques 1954)
Voyage avec la manécanterie de
la cathédrale, à l'occasion du congrès mondial des Pueri
Cantores, à Rome.
Maintenant que nous sommes bien établis Rome j'ai un peu le
temps, de vous écrire. Je vais vous raconter mon voyage jusque
là.
Partis de Vannes nous arrivons assez rapidement à Nantes où la
nuit nous surprend. Nous filons sur Poitiers, impossible de
m'endormir, je me retourne en vain pour trouver le sommeil.
Tandis que Serge (Serge Latouche, un des deux grands
copains de l'époque; il a fait du chemin depuis!) y
arrive. Enfin je commence à m'endormir mais les lumières de
Poitiers nous réveillent tous les deux. Après Poitiers c'est un
pays mortellement plat. Nous repartons en somnolant puis le car
s'arrête à Montluçon pour prendre de l'essence. Enfin je
m'endors mais je me réveille à La Palice (Allier, célèbre pour son chateau
et... Monsieur de la Palice), je suis cependant bien
reposé. Le paysage est joli avec de belles petites collines.
Nous arrivons à St-Etienne, assistons la messe et en sortons
sous un temps de cochon. Il neige à gros flocons. Nous déjeunons
puis nous repartons par le col des grands-bois. Il neige
terriblement, le sol est recouvert d'une épaisse couche ainsi
que les forêts de sapins qui bordent la route c'est féérique.
Puis nous redescendons après avoir fait la toilette dans un
petit torrent nous arrivons dans la vallée du Rhône. Voici
Valence, Montélimar et ses nougats, Donzère et son barrage. Il
est midi, nous déjeunons et enfin nous arrivons à Avignon. Nous
sommes très bien reçus à l'école des frères et nous visitons le
château des Papes et le Pont. Il fait terriblement froid avec le
mistral (pas la peine d'aller en Provence). Mes impressions sur
la Provence ne sont d'ailleurs pas merveilleuses pour l'instant.
Les couleurs sont trop crues à mon goût. Quant au palais des
Papes quel fouillis de bâtiments!
Le lendemain quand nous repartons nous trouvons une végétation
nouvelle. Nous traversons Aix c'est une jolie petite ville. Les
rochers qui entourent la ville sont usés, en forme de murailles
en ruine. Enfin nous quittons le sillon rhodanien et nous filons
sur Fréjus. La côte d'Azur est vraiment merveilleuse. Par
bonheur je trouve une place à droite côté fenêtre. Nous passons
à Cannes, qui seule au milieu du pays nous reçoit avec une
averse, Nice nous inonde également et plus tard nous
traverserons Monaco sous une pluie battante (c'est à croire
qu'il ne pleut ici que dans les villes car ailleurs il fait un
temps splendide.
Voici l'Esterel et la moyenne corniche. Je ne puis vous décrire
ici mon impression mais je trouve que c'est le plus beau du
voyage jusqu'à présent. Nous côtoyons des rochers rouges
plongeant à pic dans une mer bleue et parsemés d'aloès et de
cactus. Enfin nous arrivons à Monaco et nous prenons Peigné (Yves Peigné, un membre plus âgé
de la manécanterie, qui faisait un remplacement d'organiste là
bas. Il a été, plus tard, directeur du Conservatoire de
Vannes). La route continue jusqu'à Menton toujours
aussi magnifique et voilà la frontière que nous passons en une
heure et sans difficulté (C'est parait-il très rapide pour
l'endroit). Tandis que nous regardons la Riviera Italienne qui,
il faut le dire, ne vaut pas la française, nous écoutons une
petite conférence de Peigné sur la principauté de Monaco. Et
puis voici Gênes. Après nous être perdus une dizaine de fois
nous arrivons à notre gîte. C'est une pension pour étudiants et
nous sommes couchés dans de petites alcôves. Le soir nous allons
boire un verre de Chianti.
Le lendemain j'accompagne l'abbé Le Masle (organisateur du voyage et ancien
condisciple de papa au collège de Lorient, comme je l'ai
appris plus tard) pour répondre sa messe, mais une dame
par derrière chante si faux et en tremblotant tellement que j'ai
une envie folle de rire. C'est d'ailleur une église Italienne,
sans sièges avec des ex-voto etc. (je me souviens qu'on m'avait embauché comme enfant
de chœur pour servir une messe et que j'étais tellement
absorbé et distrait par tout cet environnement étrange qu'un
prêtre italien, inquiet, est venu me demander si ce n'était
pas la première fois et si je ne voulais pas être remplacé.
J'avais bien entendu répliqué que je connaissais parfaitement
mon affaire; et c'était vrai)

l'abbé Le Masle (en soutane)
et Yves Peigné (en costume breton)
Nous repartons et voici que nous passons le col du Braco ou furent assassinés les Burbans (en 1950). Nous
passons dans la neige alors que nous voyons la mer à nos pieds.
Passons à Carrare, La Spézia et enfin Pise. Nous visitons la
tour, le Dôme et le Baptistère. C'est tellement curieux que l'on
dirait des bâtiments d'un autre culte que le catholique. Ici les
chanoines sont tout en rouge (ainsi que les séminaristes
allemands). Nous mangeons des spaghettis et on nous envoie
coucher dans un hôtel avec ascenseur, bain etc. Nous passons une
assez bonne nuit et après avoir entendu la messe dans le Dôme
nous partons vers Rome. La route est monotone une plaine entre
deux rangs de collines, on dirait les environs de Chalon. Nous
apercevons enfin Rome. Nous allons dans notre pension, qui n'est
pas mal mais dans un quartier pouilleux à 500 m d'ailleurs de
St-Pierre. Conduits par le frère de l'abbé Nicolas (aussi petit
que lui) nous montons sur le Janicule où nous avons une vue
générale de Rome. C'est magnifique avec tous ces toits rouges,
puis nous filons à St-Pierre pour la répétition générale.
Ma première impression est de trouver cela petit, mais peu à peu
je m'aperçoit qu'il est colossal. Pendant la répétition je parle
avec des canadiens puis nous déjeunons et après nous être perdus
dans les ruelles de Rome, nous allons nous coucher (nous
voulions un raccourci). (en
fait nous avions eu l'imprudence de sortir en costumes
bretons, tous fiers, et nous nous sommes faits insulter et
jeter des pierres par les gosses du quartier).

Le lendemain nous allons à la messe puis nous partons
visiter St-Pierre. Comme la dernière fois on a l'impression
d'être en France tellement il y a de français (bien plus que
d'Italiens). Nous montons au sommet de la coupole et prenons des
photos ainsi que du haut de la galerie intérieure (c'est
d’ailleurs expressément défendu) puis nous allons visiter le
musée du Vatican. C'est le plus beau du voyage avec toutes ses
sculptures et ses peintures célèbres. Malheureusement nous
devons aller vite et nous passons la Sixtine à l'heure de
l'après midi. Après avoir déjeuné nous allons au Forum et
chanter pour Vercingétorix à la prison Mamertine. J'aurai du
m'en douter, cette histoire était organisée par le cousin des L.
Q. (nos propriétaires à
Vannes) (vous savez celui qui m'avait parlé de
Madagascar).
Puis nous allons à un concert international, nous passons dans
les derniers et nous avons tout le temps. En attendant je parle
un peu avec un hollandais puis avec un directeur américain de
Détroit avec qui nous causons près d'une heure. C'est très
intéressant mais il faut qu'ils chantent. Alors nous sortons un
peu et je suis accosté par une italienne qui me demande en
italien d'où nous venons puis elle se met à me parler de Pise,
je me débrouille pas trop mal en italien. Enfin nous passons
devant une salle immense et une assemblée de cardinaux.

Nous sommes photographiés, filmés, enrégistrés etc. D'après les
journalistes nous sommes au dessus de la moyenne des chanteurs
précédents, mais il est évident que nous ne pouvons lutter
contre des chorales de 200 membres ou plus. Fait curieux nous
sommes les seuls à être présentés par l'abbé Maillet (Monseigneur Maillet, fondateur
des petits chanteurs à la croix de bois).
Enfin nous rentrons. Demain nous visiterons les catacombes...
...et les basiliques.

Vous excuserez l'écriture, le style et l'orthographe car je ne
fais que recopier des notes éparses sur ma valise.
Dernière carte d'Italie. Nous avons très rapidement vu Florence
sous une pluie battante mais la visite était bien organisée et
nous avons vu le principal sauf la Galerie des Offices qui était
fermée. Nous avons pu passer par Milan ce qui n'était pas prévu.
Le Dôme surpasse de loin St-Pierre de Rome, c'est splendide mais
la façade est déjà du gothique flamboyant décadant. Puis nous
avons pris un autostrade (90km de moyenne) et nous sommes
arrivés à Turin où j'ai acheté des bonbons pour Alain.
La suite du voyage a été
raconté de vive voix à mes parents. A Turin, nous nous étions
perdu et nous étions arrivés à la gare, où nous devions
prendre un train pour Briançon, avec plus d'une heure de
retard. Et là surprise, comme le wagon était réservé, le train
nous attendait! Traversée des Alpes. Nous avons retrouvé
l'autocar et avons passé la nuit en altitude, à La Salette,
dans la neige, puis avons visité les églises de Brou, puis de
Paray-le-Monial, avant de regagner la Bretagne: de beaux
souvenirs.
Premier voyage en Espagne
(1954 - Gérard vient d'avoir 15 ans).
Au printemps 1954, si je me
souviens bien, papa reçoit un soir un coup de téléphone de la
gendarmerie: un espagnol, aux commandes d'un petit avion de
tourisme, vient de se poser à court d'essence sur la plage de
Damgan. Il ne parle pas un mot de français, papa est président
de l'aéroclub: on le demande. J'y vais avec papa, pour lui
servir d'interprète et nous faisons connaissance d'un certain
M. Fernandez, qui habitait Bilbao et venait d'Angleterre où il
avait été acheter un avion. S'étant perdu sur le chemin du
retour, il avait volé jusqu'à la mer, trouvé un plage (à marée basse) et s'y était posé.
rien que de très naturel, nous dit-il. Nous l'avons dépanné,
hébergé pour la nuit et il a pu regagner Bilbao sans encombre
le lendemain: il suffisait de suivre la côte... Mais M.
Fernandez nous a dit qu'il avait un fils, Jesús, qui avait à
peu près mon âge et apprenait le français. Un échange au cours
de l'été suivant serait-il possible? Voici donc pourquoi, et
comment, j'ai fait deux séjours à Bilbao, en 1954 puis en 1955
(accompagné la deuxième fois de mon cousin Jean Olliéric)
pendant que Jesús prenait ma place à Vannes.
Maintenant que je suis bien établi à Bilbao je puis vous écrire
une lettre avec plus de facilité qu'avant. Nous avons fait un
voyage vraiment très agréable. Ça a pourtant bien mal
commencé. A 20 km de Vannes nous avons crevé, il est vrai que le
pneu était usé jusqu'à la corde, mais ce fut le seul accident du
voyage. Comme nous n'avions qu'une roue de rechange nous avons
roulé à 40 km à l'heure jusqu'à Nantes. Là nous avons fait tous
les garages et marchands de pneus de la ville pour trouver un
pneu, ce n'était pas un modèle courant en France (la voiture était une DKW,
avec un moteur 2 temps!). Enfin la chance que nous
avons eu pendant tout le voyage a commencé et dans le dernier
garage qu'on nous avait indique nous avons déniché un pneu, très
probablement le seul de son espèce à Nantes. Mais cela nous
avait fait perdre beaucoup de temps et nous sommes repartis de
Nantes vers 4 heures de l'après midi. En Vendée le paysage
commence déjà changer avec ses maisons ressemblant à celles du
midi. La chaleur fait alors son apparition et cuisant dans
l'auto nous nous sommes arrêtés dans un petit village à quelques
km de Rochefort. Nous avons été très bien reçu car Mr Fernandez
et Jésus avaient déjà mangé là en venant. Le lendemain les
nuages étaient revenus et nous avons continué. A un moment en
longeant la Gironde M. Fernandez a fait une histoire terrible
(il a l'air de beaucoup aimer çà) car il croyait que je l'avais
aiguillé sur une mauvaise route. En effet nous étions sur la
D.369 et 1a carte portait D.399, il pouvait pas admettre qu'il y
ait une erreur sur la carte, mais il a du s'incliner car il n'y
avait pas d'autres routes et celle-la joignait les mêmes villes
que celle qui était portée sur le plan Michelin. (j'ai le souvenir que Monsieur
Fernandez, blessé à la tête pendant la guerre d'Espagne et,
depuis, totalement insomniaque avait un caractère de cochon et
je l'ai vu souvent vu en colère).
Enfin nous sommes arrivés à Bordeaux où nous avons mangé une
sole énorme nageant dans le beurre. Puis sommes repartis, le
soleil se mit à taper avec encore plus de force. Heureusement
que nous arrivions dans les Landes et que les pins abritaient un
peu du soleil. C'est vraiment joli comme paysage mais très
monotone. Par contre le pays Basque est splendide avec ses
maisons à poutres apparentes nichées dans les pins. Les autos
étaient de plus en plus nombreuses et à Bayonne elles se
suivaient à 50 cm d'intervalle. Il nous fallut près d'une heure
pour traverser Bayonne. Après quoi le paysage étant de plus en
plus splendide, il y eut embouteillages sur embouteillages entre
Bayonne et Hendaye. Nous y sommes arrivés vers 6 heures du soir
avec l'intention de dormir à San-Sebastian. Hélas je ne pouvais
avoir de visa qu'au consulat et il était ouvert de 9 heures du
matin à 2 heures de l'après-midi. (en pleine époque franquiste, l'Espagne ne s'ouvrait
guère aux touristes et les formalités d'accès étaient
tatillonnes: passeport et visa obligatoires). Il nous
fallait donc coucher ici. Mais allez donc trouver une chambre !
Nous fîmes sans succès tous les hôtels d'Hendaye ville, de
Béhobie, d'un autre petit village, d'Hendaye plage, rien à
faire. Enfin la chance étant décidément avec nous, nous somme
tombés sur un barman qui finissait son travail et qui nous a
trouvé la seule chambre disponible à 50 km à la ronde. Elle
était d’ailleurs très bien: grande, baie vitrée avec immense
balcon sur lequel il y avait une table et des fauteuils de
jardin, vue sur la mer, la plage et l'Espagne, salle de bain
etc.. mais un seul lit à deux places. Enfin c'était mieux que de
coucher dans la voiture. (et
un prime nous avons eu droit au spectacle d'un orage sur la
mer, comme je n'en avais jamais vu). Le lendemain
matin à 9 heures nous allions frais et dispos au consulat, mais
le visa ne fut pas prêt avant 11 heures. En 5 minutes nous avons
traversé la frontière à Béhobie et en route pour Bilbao.
De midi à 1 heure nous nous arrêtons pour visiter San-Sebastian.
C'est splendide! Puis nous repartons. Il pleut. Je n'aurais
jamais cru le nord de l'Espagne si montagneux. Nous zigzaguons
parmi les montagnes dont certaines dépassent 1.000 m et ainsi
jusqu'à Bilbao. A 2 heures 1/2 nous nous arrêtons pour déjeuner.
Je commençais à avoir faim! Puis nous repartons. Enfin voici
Bilbao. C'est une ville très curieuse. Avec ses 250.000
habitants elle est cachée dans le fond de la vallée du Nervion,
entre des montagne de 500 à 1.000 m de haut, ce qui fait qu'elle
s'allonge sur 4 km environ et qu'elle n'a pas 1 km de large. A
part cela c'est une ville sale avec des km d'usines et de
haut-fourneaux dans la vallée et tout cela fume tellement qu'il
y a un brouillard continuel. En plus comme dans toutes les
villes que j'ai déjà vues en Espagne les automobilistes ont
l'air de ne pas connaître la code de la route. On double à
droite à gauche, on roule où on peut, on klaxonne sans fin,
c'est infernal et je vous jure que je ne suis pas du tout
tranquille en auto. Les espagnols ont l'air de trouver cela
naturel.
A peine arrivé nous visitons l'appartement. Je couche dans la
même chambre que Miguel, nous disons bonjours à la bonne et...
en route pour l'aéroport. Je me demande comment on a fait pour
trouver un aéroport parmi les montagnes. Il a l'air d’ailleurs
d'être tout récent et il n'y a pas de hangars. Nous trouvons Mme
Gabaldin Fernandez au restaurant, parée de tous ses bijoux, dans
une robe noire drapée, une vraie robe de cérémonie. La dame elle
même ne serait pas mal si elle n'avait pas un nez énorme. Je la
comprends beaucoup mieux que son mari. Il y a 6 personnes qui
travaillent au restaurant, dont une cousine et une nièce des
Fernandez.

toute l'équipe du
restaurant, avec Mme Fernandez et Pili
Le soir nous revenons à Bilbao après avoir diné à 9 heures 1/2.
J'ai le temps de mieux voir l'appartement qui est immense mais
qui est si sombre qu'il faut allumer l'électricité en plein jour
dans la plupart des pièces pour bien y voir. Je donne vos
cadeaux à Mme Fernandez qui vous remercie beaucoup. Puis je vais
me coucher tandis que Miguel rentre avec un cousin.
Ce matin nous sommes repartis à l'aéroport d'où je vous écris.
J'ai l'impression que mes progrès en Espagnol vont beaucoup plus
vite que ceux en Anglais quand j'étais à Sunbury. Pour le moment
on me présente à tout le monde et je dois parler beaucoup.
Monsieur Fernandez raconte aussi ses impressions. Ce qui l'a le
plus frappé en France furent l'état des routes et de voir une
brave sœur en Vespa. Quant à moi ce qui m'a le plus frappé fut
l'absence de discipline des autos et la manière de s'habiller.
Les servantes en noir avec tablier, col et coiffe blanche, les
gens biens très élégants et les petites filles de 2 ou 3 ans
parées de bijoux et de dentelles.
Dimanche soir à 5 heures nous avons été à une corrida M.
Fernandez et moi. C'est un spectacle vraiment splendide et une
atmosphère tout à fait spéciale. Malheureusement à part le
rejoneador (torero à cheval) les autres toreadors et les 6
autres taureaux étaient tout à fait médiocres. A mon avis cela
ne mérite pas que l'on paie sa place (une place moyenne) 135
pesetas (1,84 €) mais
c'est quand même splendide et pour quelqu'un qui n'a jamais vu
de corrida cela vaut quand même le coup. La foule là bas
manifeste énormément et quand à un moment elle s'est aperçu
qu'un picador piquait trop fort, il y avait tant de cris, de
coups de sifflet et de vociférations que l'on n'aurait pas
entendu tomber la foudre. Tout le monde était levé et agitait
son mouchoir. Il en fut de même quand on donna une oreille au
rejoneador, toute la foule trépignait de joie et lançait des
choses dans l'arène: mouchoirs, chapeaux, vestes, fleurs,
éventails et jusqu'à un soulier à talons hauts.

Ce soir nous devons aller au théatre, voir jouer "Me debes un
beso" (tu me dois un baiser) une comédie à la mode très en vogue
en ce moment à Bilbao.
Vendredi nous avons été au cinéma voir un film policier "Le cri
accusateur". Comme les cinémas espagnols sont permanents il y a
constamment des gens qui entrent ou qui sortent et c'est très
désagréable.
Parfois nous allons au village de Sondica (proche de l'aéroport) pour
jouer
au billard et tous les soirs nous allons à la Foire de 10h 1/2 à
11 h 1/2 Nous tirons à la loterie, hier j'ai gagné une petite
bouteille d'anis, nous mangeons des "churros" ce sont des
gâteaux en forme de cornichon faits de pâte à gaufre, très
sucrés et que l'on mange brulants, il y en a beaucoup en
Espagne, puis nous allons voir les pitres qui attirent les gens
au cirque enfin nous faisons un ou deux tours de manèges (auto
tampon, grande roue et autres manèges que je n'ai jamais vu en
France).
J'ai fait un pas de plus dans l'accoutumance de la cuisine
espagnole: je me suis habitué au poisson frit.
J'embrasse bien tout le monde car voici l'avion de Galice qui
arrive et les gens envahissent le restaurant en faisant beaucoup
de bruit.

Juan-Manuel posant devant
l'avion de Galice
Embrassez Mathurine de ma part (dites lui que je lui rapporterai
une médaille de St-Jacques de Compostelle comme celle qu'elle a
perdu).
Je commence à m'habituer à la vie espagnole mais c'est dur. Je
me lève le matin vers 10 heures, déjeune d'un tasse de café au
lait avec deux gros gâteaux, généralement un palmier recouvert
de chocolat et une couronne de pâte très feuilletée recouverte
de confiture. Puis je parle un peu avec la bonne (elle s'appelle
Pilar mais ici on dit Pili (à
ce propos, Pili m'a avoué qu'elle n'était pas payée: pour son
travail elle était logée, nourrie, habillée et c'est tout! Et
elle s'estimait bien heureuse d'avoir du boulot...) et
avec Miguel. Je leur raconte des histoires drôles car ils aiment
beaucoup cela mais mon répertoire commence à s'épuiser. Puis
vers 11 h 1/2 nous allons en auto prendre la glace et nous
partons à l'aéroport. Là je fais différentes choses, je joue au
jokari avec Miguel ou. bien je parle avec les domestiques, je
les connais bien maintenant. Il a la cousine des Fernandez et
leur nièce; doña Carmen dite "Carmina" et doña Pilar dite "Pili"
(tout le monde s'appelle pareil en Espagne). Il a les deux
cuisinières: Doña Carmen (une troisième avec Madame Fernandez et
sa sœur doña Jésusa, il y a le barman don Alfredo bavard comme
une pie et enfin il y a le garçon et la fille qui font la
vaisselle dont je ne sais pas les noms. Tout cela avec les
clients, les employés de l'aéroport et les membres de
l'aéroclub, font beaucoup de monde à qui parler et je fais des
progrès énormes. Évidemment il ya le pompiste qui s'obstine à me
parler français mais son répertoire ne s'étend guère en dehors
de "Bonjour monsieur, comment allez vous" et aussi une
expression qu'il lâche à chaque fois qu'il me voit car il la
trouve très française "et pourtant".

le pompiste et son fils
A 2 heures 1/2 nous déjeunons (il a bien fallu fixer une heure
car en Espagne les gens déjeunent entre 1 et 5 heures et dinent
entre 8 et 2 heures du matin. Le restaurant est toujours plein).
Comme nous sommes dans un restaurant il y a un grand choix de
nourriture et je peux choisir celle qui me plaît. Je la connais
à présent. Je sais que je peux demander comme soupe de la soupe
de poisson au pain ou du bouillon. Comme hors d'œuvre de la
"paella" (riz avec du piment, des petites saucisses, du lard
fumé, du bœuf et des palourdes. Le tout cuit à l'huile) ou des
hors d'œuvres variés (olives anchois, croquettes de poisson,
sardines frites, tomates, salade, asperges etc.) Comme viande:
un beefteak aux pommes frites (parfois on me le fait au beurre
mais je l'aime autant à l'huile car ils le préparent mieux comme
cela). C'est également dans ce restaurant que j'ai découvert
les civelles, relativement bon marché à l'époque, mais
devenues hors de prix ensuite.
Pas de poisson, ni d'autres viandes (elles sont comme le poisson
faites à l'huile avec de la farine, de la chapelure et je ne
sais trop quoi. C'est infect et ça donne mal au foie).
Heureusement on ne fait pas maigre le vendredi en Espagne:
privilège datant des croisades (en fait de la bataille de Lépante). Autrement
je peux me permettre à la rigueur le pot-au-feu (à l'huile) les
œufs sur le plat (idem) et les petits calmars dans une
délicieuse sauce faite avec leur encre (malheureusement je
n'aime que la sauce et il me faut manger en plus les calmars et
l'huile) comme salade j'aime mieux ne pas trop en manger car
elle est tellement bien assaisonnée avec beaucoup d'huile
d'olive qu'elle est presque trop forte. Comme dessert je peux
prendre des œufs au lait ou des fruits (ils sont splendides mais
les pêches qu'ils ont sont d'une espèce très dure et peu
juteuse) je prends une fois l'un une fois l'autre et parfois une
glace. Comme vous le voyez, ne meurs pas de faim ici et
d'ailleurs tous les espagnols que j'ai vu mangeaient énormément
(si M. Fernandez ne mangeait pas beaucoup en France c'est que la
cuisine française ne lui plaisait pas) et à chaque repas je dois
me taper de la soupe, un hors d'œuvre, deux plats, de la salade
et un dessert. Heureusement que plus j'en laisse et plus je suis
poli. A propos de repas M. Fernandez m'a dit que Jesús n'aimait
pas les tomates et les artichauts mais qu'il adorait le sucre et
les choses sucrées principalement les omelettes sucrées. M.
Fernandez m'a chargé de son côté de dire à Jesús que s'il
n'écrivait pas plus souvent il resterait désormais à la maison
et ne ferait plus de voyages à l'étranger.
Après déjeuner je m'occupe comme, je peux avec Miguel car il a
beaucoup de monde au restaurant. L'avion de Galice s'envole et à
5 h 20 vient celui de Madrid puis celui de Palma. A 6 heures je
goûte avec une tasse de café au lait et des petits gâteaux et,
ou bien je vais à Bilbao à la foire, ou au cinéma, ou bien je
vais chercher des mûres avec Carmina ou bien s'il pleut, ce qui
arrive assez souvent, je bavarde avec un peu tout le monde et on
se raconte des histoires.
A 10 heures nous dinons (dîner aussi copieux que le déjeuner).
Enfin je vais bien et je n'ai pas mal au foie. C'est le
principal. Après diner nous allons à Bilbao et nous allons à la
Foire.
Voici comment passent les jours ici. Je ne fais pas grand chose
mais je n'ai pas le temps de m'ennuyer.
J'ai reçu votre lettre seulement aujourd'hui. Que la poste est
donc lente! Depuis ma dernière lettre il s'est produit un
changement important. Il fait beau, le soleil brille
constamment, il fait une chaleur infernale. De midi à 4 heures
il est presque impossible de sortir et tous les jours à 3 heures
l/2 ou dans la matinée nous allons à la plage pour trouver un
peu de fraicheur. Hier j'ai eu si chaud qu'aujourd'hui j'ai
inauguré le port du short. Évidemment on me prend tout de suite
pour un étranger mais M. Fernandez m'a assuré que c'était très
bien et m'a t-il dit, toutes les histoires qu'on lit sur les
français rappelés à l'ordre sont des inventions de journaliste.
(cela ne m'a pas empêché de me
faire interpeler un peu plus tard, accompagné de Pili, par la
police de Bilbao, qui m'a raccompagné à la maison sous
prétexte que, à 15 ans, se promener en short était inconvenant!).
Évidemment sur les plages les gens font un peu démodés mais j'ai
vu des maillots qui ne se remarqueraient pas en France (et ils
sont nombreux) quant au dames elles portent les mêmes maillots
qu'en France, mais seulement en une pièce. (Je
me suis également vu une fois prié par la police, sur une
plage, de me rhabiller car j'étais en boxer sans haut! après
discussion les policiers m'ont laissé tranquille, puisque
j'étais étranger, à condition de rester étendu sur le ventre
lorsque je n'allais pas me baigner. On ne plaisantait pas avec
ces choses là en pleine époque franquiste)
Nous n'avons pas été au théâtre finalement car la séance
commençait à onze heures (heure espagnole ce qui veut dire avec
1/2 heure de retard. Rien n'est à l'heure en Espagne sauf
les corridas).
En revanche nous avons été en avion pour voir Bilbao et les 2
plages où nous allons: Las Arenas et Plencia.
Dimanche après midi nous avons été voir des régates sur le
Nervion à Portugalete.
Miguel (puisque vous me demandez comment il est) est très gentil
bien que diable mais il est évidemment un peu jeune.
A propos de la mise à mort du taureau l'impression que ça donne
est que c'est une délivrance pour le taureau qu'il faudrait
abattre de toute façon car il mourrait en souffrant beaucoup.
Pouvez vous me donner la recette des crêpes pour Madame
Fernandez c'est elle qui vous le demande.
Je viens d'apprendre que la température avait dépassé 30° à
l'ombre aujourd'hui.
J'ai bien reçu votre dernière lettre et je vois que vous faites
beaucoup de choses. Jésus ne doit pas s'ennuyer.

Alain et Jesús, pendant ce
temps là
Pour moi je n'ai pas non plus le temps de m'ennuyer. Jeudi nous
avons été à la plage à Plencia et vers la fin de l'après midi le
vent s'est mis à souffler tellement qu'il y avait des moutons
sur la mer mais le plage de Plencia est bien abritée au fond
d'un golfe et nous avions seulement des vague épatantes pour
nager. A un moment je suis resté debout dans une vague, avant
j'avais de l'eau jusqu'aux cuisses mais la vague m'est passée
par dessus. Malheureusement vendredi nous avons eu un orage et
samedi nous sommes retournés à Plencia avec Don Jésus (le chef
de l'aéroport) et sa famille composée de sa femme et de ses
trois filles de 5 ans 7 et 8 ans. Elles étaient évidemment un
peu jeunes mais nous nous sommes quand même bien amusés.
Dimanche il y avait à Bilbao une "bencerada" c'est une corrida
de jeunes taureaux( il y a 3 catégories: les plus jeunes sont
les benceros ensuite viennent les novillos puis les toros) et
nous sommes allés la voir. De plus c'était une corrida de "risa"
c'est à dire une parodie comique d'une vraie corrida. Il y avait
tout même la mise à mort mais tout était comique Par exemple un
torero à mis les banderilles au taureau par dessous le corps de
celui-ci, il s'est laissé glisser sous l'animal et a piqué les
banderilles. Une autre fois ils ont mis les banderilles en vespa
et le taureau a foncé par deux fois dans la vespa renversant
tout par terre. Une autre fois encore le taureau ne voulait pas
sortir, le torero faisait mille grimaces devant l'entrée mais en
vain quand soudain est sorti un énorme bœuf une cloche au cou.
Au taureau après on a vu sortir dans l'arène une dizaine de
pénitents avec de grandes robes et des cagoules pointues comme
dans les processions de la Semaine Sainte à Séville. Après avoir
fait mille singeries ils se sont installés sur des caisses face
à la porte d'où devait sortir le taureau et quand celui-ci est
sorti il a flairé les pénitents a tourné autour d'eux mais ne
leur a rien fait. Il y eut également un taureau qui est sorti
habillé en petite fille et il y eut un incident imprévu. Au
moment où on allait lui passer les banderilles correctement il
s'est pris la patte dans un ruban et est tombé, une banderille a
été par terre tandis que l'autre s'est planté dans l'oreille du
taureau qui a porté cette gigantesque boucle d'oreille jusqu'à
la fin. Évidemment cela ne dit rien quand on le raconte mais à
voir c'était tordant cette corrida.
En plus tous les toréadors étaient vêtus de manière bizarre une
parodie de vrais costumes de toréadors. Cependant si c'était
très amusant cela n'avait pas le beauté d'une vraie corrida.
Quant à l'ambiance elle était formidable, les gens lançaient
même des serpentins et des confettis au taureau.
J'ai reçu votre lettre hier nous avons aussitôt essayé de vous
téléphoner mais votre téléphone était en dérangement et ce n'est
que ce matin que nous avons pu avoir M. Leverre (le cafetier à côté de la maison
des parents). J'espère qu'il vous a bien fait la
commission. Voici ce qui se passe. Les Espagnols ne peuvent pas
sortir d'Espagne sans un visa de sortie, pour cela il faut toute
une enquête à Madrid qui prend environ 2 semaines. Or M.
Fernandez avait demandé ce visa en pensant aller en France le 18
ou le 20 ce qui fait qu'il n'est pas sûr de l'avoir pour le 16,
jour où nous devons partir pour être à Lourdes le 17 à midi.
Donc si Jésus ne nous rencontre pas à Lourdes c'est que le visa
ne sera pas prêt et il n'aura qu'à revenir à Vannes avec Alain.
Dans ce cas nous irions plus tard Vannes. (Il
était en effet prévu que Jesús aille à Lourdes, avec la
manécanterie qui y faisait un pèlerinage, et que l'échange des
enfants ait lieu là bas).
Si Jésus revient à Vannes Madame Fernandez demande qu'il lui
achète un porte-pantalon comme le mien car elle l'a trouvé bien
pratique et il n'y en a pas comme cela en Espagne. De mon côté
je vous rapporte une boite d'huile d'olive de 2 litres 1/2 afin
que vous puissiez manger de la bonne salade.
Vous me demandez si j'ai fait beaucoup de photos. Voici ce qui
s'est passé. Les pellicules espagnoles ne vont pas très bien sur
mon appareil. Le premier rouleau que j'avais pris à la corrida
s'est mis en accordéon quant au 2ème il s'est mal déroulé et les
photos que j'ai paraissent prises dans un miroir déformant.
C'était Madame Fernandez qui me l'avait payé (en effet chaque
fois qu'elle est là quand j'achète quelque chose elle insiste
pour payer. J'ai beau faire c'est elle qui paye. Monsieur
Fernandez m'avait bien dit que je n'avais pas besoin d'argent.)
Hier j'ai été au cinéma voir un nouveau film de Luis Mariano qui
a mon avis est un bon film et quoique les acteurs aient parlé
avec l'accent Andalous j'ai tout compris. Cela m'a fait plaisir.
Voici sans doute la dernière lettre que je vous écris d'Espagne.
Comme je le craignais nous n'avons pas pu aller à Lourdes car
M.Fernandez n'aura son visa que lundi. Ce n'est pourtant pas
faute de s'y prendre à l'avance, il s'y est pris en arrivant en
Espagne. Mais comme il doit être là mercredi et jeudi je ne
pourrai être à Vannes avant samedi. Je vais donc rater la
rentrée mais il n'y a pas moyen de faire autrement et on ne fait
pas grand chose la première semaine. Comme sa femme a commencé
son cours depuis le 15 il se trouve seul à l'aéroport et ne peut
pas s'absenter beaucoup (Madame
Fernandez était institutrice).
Vendredi matin nous partirons donc pour Bordeaux où nous
passerons la nuit à moins d'un accident quelconque. Samedi M.
Fernandez me mettra au train pour Vannes et de son côté Jésus
rejoindra par le train Monsieur Fernandez à Bordeaux.
A part cela il ne s'est rien passé de remarquable. Nous avons
changé de garçon de restaurant ce matin. Mardi nous sommes
montés en funiculaire jusqu'au sommet d'une des montagnes de
Bilbao et nous en sommes revenus à pied. Nous étions avec un
garcon de 15 ans qui habite la même maison que nous, mais qui en
parait 18 (1m80)
Mardi soir Juan Manuel (Manolete) avait un bon rhume et a été
malade 2 jours.
Demain nous devons aller à Santander visiter les grottes
préhistoriques d'Altamira mais Miguel a prédit qu'il pleuvra car
il y corrida demain (c'est comme pour les courses à Vannes).
Hier j'ai visité les émetteurs de radio de l'aéroport. C'est
très intéressant mais malheureusement je n'y connais rien (alors j'ai fait le portrait du
contrôleur, au crayon sur un petit carnet et comme c'était
assez ressemblant, tout le monde à l'aéroport a ensuite tenu à
se faire dessiner par moi!).

dans la tour de contrôle
Il parait que Jésus commence à trouver le temps long car il a
écrit de Lourdes qu'il espère qu'on ira là bas et qu'il n'aura
pas à revenir à Vannes (mais c'est la première fois qu'il quitte
ses parents)
2ème voyage en Espagne
(1955-Gérard à 16 ans. Cette
fois-ci il est en compagnie de son cousin Jean Olliéric)
Je suis arrivé hier soir à Bilbao après un voyage splendide.
Jusqu'à Nantes il n'y a rien eu de spécial. J'y ai rencontré Jo
et Françoise qui arrosaient le jardin. Nous avons eu
ensuite la visite de Nanette, sa mère et un des frères de Jo que
je ne connaissais pas. A 5 heures nous sommes partis pour
Bordeaux où nous sommes arrivés assez tard, vers 9 heures. Là
nous avons déjeuné au restaurant de Bordeaux en face du théâtre
puis, comme il n'y avait plus de chambres nous avons été coucher
au "Splendid" sur les quinconces (hôtel 5 étoiles, ma chère!) Le
lendemain vers midi nous avons rencontré Marie-Jo, Jean et
Gérard. Nous avons déjeuné au même hôtel que la veille, puis
vers 3 heures nous sommes partis. Traversée des Landes
entre 120 et 160 m/h qui s'est passée à peu près sans incident à
part un accrochage de roulotte qui s'est rabattue à gauche au
moment où on la doublait (plus de peur que de mal) et, ce qui
aurait pu être plus grave, qu'on a roulé pendant 100 km avec le
frein à main serré. Nous nous sommes retrouvés à Biarritz, que
nous voulions voir, sans frein. Heureusement ça n'a pas été
grave.
Passage de frontière éclair (on ne nous a même pas demandé si on
avait de l'argent). A propos j'oubliais qu'à Bordeaux où on nous
a fait le change, Jo m'a emprunté mon passeport pour en changer
le maximum, comme on a droit à 3.500 pesètes par passeport et
qu'on en avait 4 il a donc changé 14.000 pesètes mais je n'ai
plus le droit de transformer mes francs en pesètes, cela n'a
d'ailleurs guère d'importance. Le plus long du voyage a alors
été St-Sébastien-Bilbao où la route est pire que jamais. Si l'on
a fait du 50 de moyenne c'est bien le maximum. A Bilbao je n'ai
pas eu trop de mal pour retrouver l'aéroport où nous avons
trouvé tout le monde. Il était 10 heures et les Fernandez
venaient de diner aussi.
Puis nous avons été à l'hôtel (un des meilleurs de Bilbao).
Là tout le monde s'est extasié sur les hors-d'œuvre et quand est
arrivé le plat de résistance personne n'avait plus faim. Tout
était tout beau tout nouveau car c'était la 1ère fois que les
Olliéric quittaient la France. Puis Philippe les a rejoint et
j'ai été dormir chez les Fernandez. Les Olliéric viennent
déjeuner à l'aéroport à midi (!?) puis nous irons au concours (hippique) qui a lieu à 4
heures.
J'ai renoué connaissance avec tout le monde et pour le moment
tout va bien. La semaine prochaine Juan-Manuel va passer les
vacances à Madrid et j'irai l'accompagner avec monsieur
Fernandez. Ça a l'air d'être sérieux et je crois pouvoir y
compter.
Vous allez me trouver bien paresseux mais le temps passe si vite
et il fait si chaud que je n'ai pas le courage d'écrire.
Vendredi 12. Les Olliéric sont venus déjeuner à l'aéroport.
Pendant le déjeuner arrive le prince Bernard de Lippe (prince
consort des Pays-Bas) aux commandes de son DC3, il vient
présider le concours. Nous y allons l'après midi.

Le prince au concours
hippique
Samedi 13. Rien de spécial. Le soir nous allons au cinéma,
sans m'en rendre compte car il faisait noir je donne 10 Fr de
pourboire au lieu d'une pesète, on me les rend sous prétexte que
c'est une fausse pièce, tout s'explique. Quand nous rentrons les
parents Fernandez sont partis pour une destination inconnue.
Dimanche 14. Nous assistons par erreur à une grand'messe ce qui
nous fait louper le train pour l'aéroport. Jean est au lit,
malade, les Olliéric le laissent et vont à Santander à la
corrida.
Lundi 15. Les Olliéric viennent déjeuner puis nous allons au
concours. Les chevaux français sont énervés (il fait très chaud)
et accumulent les refus: désastre complet. Défilé final.
Beaucoup d'allure. Les Olliéric partent.
Mardi 16. Chaleur (36° à l'ombre à 3 heures) Nous allons à la
plage prenons trois bains, goûtons et revenons.
Mercredi 17. il tait un peu moins chaud. Je fais à pied le tour
du camp d'aviation pour la 1ère fois. Cela me prend pas mal de
temps On doit aller à la plage mais la voiture est au garage et
n'est pas prête. A la place on fait une demi-heure d'avion dans
l'Auster et on a faire des rase mottes sur toutes les plages (M
Fernandez adore cela).

le fameux avion, devant
lequel pose Victor, le barman
Jeudi 18. Nous allons à la plage et puis nous goûtons. Revenus à
Sondica, autre demi-heure d'avion (une 1/2 heure de rase-motte)
mais mon gouter (2 sandwiches à l'omelette, 2 bocks et des
raisins) se battent en duel et je n'ai pas beaucoup apprécié le
vol (Monsieur Fernandez, qui
avait manifestement un peu trop bu, s'est moqué de moi et a
dit que j'avais peur; ce qui était assez vrai. Je n'avais pas
écrit cela dans ma lettre pour ne pas affoler mes parents).
Vendredi 19. J'ai passé la matinée à lire du Jules Verne (en
Espagnol). L'après-midi nous avons été à la plage. L'eau était
chaude mais il y avait un petit vent désagréable. Je ne me suis
baigné qu'une fois. Puis nous avons goûté et sommes revenus.
Ensuite nous avons fait notre 1/2 heure quotidienne d'avion mais
plus calmement que jeudi. Nous avons vu un incendie de forêt
c'était très joli.
Puis nous avons fait quelques passages sur les plages et
sur les bateaux et sommes revenus. Atterrissage loupé (nous
avons rebondi 3 fois) mais il faisait presque nuit. En rentrant
nous avons eu une colère de M. Fernandez qui a renvoyé Victor
(depuis le temps qu'il le disait!)
Samedi 20 Victor est parti ce matin. Il fait une chaleur
écrasante (au moment où j'écris à 2heures 1/2 le thermomètre a
largement dépassé 27° à l'ombre et je crois qu'il va encore
monter) aussi je suis en sueur et n'arrive pas à tenir le stylo
qui me glisse des doigts, j'écris donc comme un cochon. Nous
allons partir à la plage tout à l'heure quand viendra le 2ème
avion, je n'ai vraiment pas le temps de m'ennuyer. De plus il va
venir lundi un anglais de 9 ans à la place de Miguel et qui ne
sait pas un mot d'espagnol, cela va me faire travailler mon
anglais car je suis le seul ici à parler cette langue. Je ne
crois pas que nous irons à Madrid car madame Fernandez s'oppose
au départ de ses 3 fils à la fois.
Il parait que vous avez tout le monde à la maison, cela doit
être un rude travail, heureusement que Mathurine est là. Où les
logez-vous?
Hier est-arrive John l'anglais chez qui est Miguel. Comme il ne
sait pas un mot d'espagnol je sers d'interprète et cela me fait
travailler mon anglais. John a 9 ans, couvert de taches de
rousseur, c'est un diable à côté de qui tous les enfants
désagréables paraissent des saints. Il faut toujours être
derrière lui à le surveiller. Hier il a manqué se noyer. En
l'espace d'une heure ce matin il a inondé la salle de bain,
renversé son déjeuner, cassé un verre plein d'eau, bloqué
l'ascenseur entre 2 étages en ouvrant une porte et... j'en
passe! le tout accompagné de cris et de courses dans les
escaliers. A part cela il a l'air d'avoir des facilités pour
apprendre l'espagnol. Il est vrai qu'on lui laisse faire tout ce
qu'il veut et qu'il a passé la matinée à s'amuser avec un des
postes émetteurs-récepteurs de radio (on l'avait débranché
auparavant).

en torero, à la foire, avec
John et Juan-Manuel
Je vous écris surtout pour vous faire part d'une idée de M
Fernandez qui désire qu'Alain vienne passer ici le mois de
septembre (il perdrait une semaine de classe mais ce n'est pas
grand chose). Si vous étiez d'accord il faudrait qu'il voit si
c'est possible de venir avec la Mané partageant sa place avec
Jésus (les fauteuils sont larges) sinon M. Fernandez en me
conduisant à St-Sébastian irait jusqu'à Vannes chercher Alain et
Jésus. Si vous étiez d'accord écrivez-moi le plus vite possible
et faites faire à Alain un passeport et un visa. A voir ce que
John a appris en deux jours je crois qu'Alain ferait beaucoup de
progrès en espagnol. (après mon départ John se débrouillait
assez bien en espagnol pour que Madame Fernandez puisse le
prendre dans sa classe à la rentrée).
Finalement, Alain n'est pas venu.
Nous avons retrouvé Jesús à San Sebastian, venu avec la
manécanterie, en route pour Fatima et nous avons fait
l'échange. Jesús a regagné Bilbao et moi j'ai continué avec la
manécanterie. Nous n'avons plus eu beaucoup de nouvelles des
Fernandez mais, quelques années plus tard, Monsieur Fernandez
a quitté l'Espagne en catastrophe, la police à ses basques et
s'est réfugié à Nantes. Il avait, paraît-il, comploté contre
le régime franquiste... qu'il trouvait trop à gauche! On lui a
trouvé une place de conducteur d'engins sur un chantier
Nantais et je crois que sa famille a pu le rejoindre plus
tard. Aux dernière nouvelles, Jesús serait devenu prêtre.
Un bonjour du pays où les cigarettes et le vin coûtent 50 Fr.
L'étape Salamanque - Coïmbre a été assez fatiguante. A
Valladolid nous avons visité le musée national. A Salamanque
nous avons visité diverses églises dont la cathédrale qui a de
magnifiques voutes mais qui est un peu surchargée. Ce que nous
avons vu du Portugal est très joli, boisé et montagneux. Avons
visité Coïmbre et partons déjeuner à Fatima.
Je vous écris dans le car quelque part entre Lisbonne et la
frontière tout en dégustant une livre de délicieux raisins
acheté 13 Fr . Je vous envoie la photo d'une splendide église
gothique dont la nef et le cloître égalent ceux des grandes
cathédrales françaises (il
s'agit de l'église de Batalha, au Portugal).

Je profite de ce que nous avons un peu de temps libre pour vous
écrire une vraie lettre. Je crois que depuis Salamanque vous
n'avez pas eu de nouvelles très détaillées de moi sinon des
cartes postales écrites à la hâte dans le car. Voici donc en
gros ce que nous avons fait.
Rapide visite de Coïmbre où nous ne voyons guère qu'un mignon
village lilliputien.

déjà que l'abbé Nicolas
n'était pas bien grand...
Par contre visite archi détaillée de Fatima. Nous y chantons
très mal) une grand'messe. (j'ai
le
souvenir d'un orgue à 5 claviers qui m'avait laissé pantois et
aussi d'avoir été visiter la mère des voyants, qui était
encore en vie et nous a reçu dans une très modeste maison
perdue au milieu des oliviers et des chênes verts à quelques
kilomètres de Fatima).

C'est dans l'arbre à gauche
de la photo qu'ont eu lieu la plupart des apparitions. Tout
le reste a été rasé.
A Lisbonne nous sommes très bien logés, parcourons la ville
en tous sens mais, à part les maisons recouverts de carreaux de
faïence, rien d'intéressant (sans
doute étions-nous mal guidés, car Lisbonne est une ville
intéressante). Chantons à radio-Lisbonne (un fiasco: nous étions trop
fatigués. L'enregistrement a probablement été effacé aussitôt).
Le lendemain prenons le bac et traversons le Tage (5km).
Déjeuner dans une mignonne petite ville d'une blancheur
éblouissante, Béja.
Long passage de frontière (2km)

Serge et Jacques sur la
frontière
Arrivons très tard à Séville. Pas très bien logé Le lendemain
visite de la cathédrale et du splendide Alcazar.
N'avons pas le temps de passer à Cordoue (on s'en doutait).
Arrivons de nuit à Grenade. Le lendemain visite de la cathédrale
et de l'Alhambra, la plus belle chose du voyage avec la
cathédrale de Burgos. (Mes
souvenirs de l'Alhambra sont restés si précis que plus de 50
ans après, lors d'un voyage avec mon frère, je me suis rendu
compte que j'aurais presque pu servir de guide)
Partons pour Murcie, en route notre car rentre dans une
charrette tirée par 2 mules: dégâts peu graves. Arrivons Murcie,
très bien reçus, gens très sympathiques. Pas grand-chose à voir.

tout le groupe à Murcian
avec la chorale locale
L'étape suivante est merveilleuse: mer bleu foncé, cactus,
agaves, palmeraie, orangers, citronniers, grenadiers,
cotonniers, des fleurs, de l'eau on se croirait dans un autre
monde.
Rien à voir à Valence (et
pourtant...).

notre dortoir à Valencia
Hier avec Serge j'ai été au cinéma. Donnons concert sur concert.
Cet après midi nous allons à la plage. (à cette époque, dans la puritaine Espagne, les
plages étaient séparées: les hommes, les femmes et les
couples, chacun sur son bout de sable!). Mon rôle
d'interprète commence à devenir pesant. J'ai du hier subir un
interwiev de plus d'une heure par un journaliste de Madrid car
l'abbé Nicolas m'avait lâché honteusement. Enfin il m'a promis
un exemplaire de son journal (j'attends
encore!).
Lettres d'Algérie - 1958
Chers parents,
Vous allez sans doute recevoir cette lettre en même temps que
celle que je vous ai envoyée en fin de matinée mais ce dont j'ai
à vous parler est plus pressé que je ne le pensais.
Voila! Je ne sais plus si je vous avais dit que j'aimerais faire
cet été un stage d'étudiant en Algérie. Je me suis renseigné. Il
s'agit d'un stage d'une durée de deux mois (départ entre le 10
et 20 juillet) dans une SAS (c.à.d. une sorte de municipalité
algérienne de campagne) ou une SAV (même chose en ville).
Les renseignements que j ai eu sur ces stages sont assez peu
précis, ils comportent plusieurs parties: partie administrative,
surveillance de chantiers, encadrement du personnel etc... mais
de toute façon adaptés le mieux possible à la profession que
l'on apprend, car le but de ces stages est un peu cela.
Questions matérielles; traitement mensuel au minimum de 40.000
Fr. voyage payé depuis le domicile, conditions de confort sinon
luxueuses du moins fort décentes, affectation à une région le
plus calme possible.
Ces stages ont lieu cette année pour la seconde fois et ont eu,
parait-il beaucoup de succès l'an passé. Ils me tentent beaucoup
pour plusieurs raisons: s'occuper pendant les vacances qui, dans
le fond sont bien longues, voir du pays, et me faire un peu
d'argent de poche et si cela doit m'être utile dans mes études
ce n'est pas à dédaigner non plus. Enfin je pense que cela me
ferait le plus grand bien comme formation et me donnerait
l'assurance qui pourrait me manquer.
C'est donc pour vous demander votre autorisation en triple
exemplaire que je vous écrit. Je vous ai dit que j'étais pressé
car les inscriptions vont bientôt se clorent et il faudrait que
je puisse les expédier samedi matin.
Peut-être trouvez-vous qu'un tel stage est dangereux. Je ne le
pense pas. Papa ne dit-il pas qu'il y a moins de morts en
Algérie que sur les routes de France? et encore s'agit-il de
l'armée, ce qui n'est pas mon cas. Peut-être les temps sont ils
un peu troublés? Je ne crois pas que cela ait tellement
d'importance, il y a nettement moins d'attentats là bas depuis
le début des évènements et d'ailleurs en 1 mois 1/2 ça a bien le
temps de changer. Et si l'on ne faisait que ce qui ne risque
rien on ne ferait rien du tout, même pas de bicyclette.
Peut être vous inquiétez-vous pour le climat? celui d'Algérie
n'a pas mauvaise réputation: sur les plateaux il est très sain
et sur la côte c'est à peu près celui d'Espagne qui ne m'a
jamais fait de mal.
Reste le stage lui-même. Je sais qu'avec les renseignements que
l'on m'a donnés c'est un peu partir à l'aventure, mais après
tout il ne peut rien m'arriver de fâcheux. Si ce n'est pas aussi
agréable que je le pense (ce dont je doute) je n'aurai à m'en
prendre qu'à moi. "La fortune sourit aux audacieux" et 2 mois
sont bien vite passés.
Je pense avoir bien plaidé ma cause et c'est le cœur confiant
que j'attends votre autorisation le plus tôt possible.
J'allais avoir 19 ans,
mais à cette époque la majorité était fixée à 21 ans; ce qui
explique ma démarche.
L'idée ne plaisait pas du tout à papa et les parents, quoi
qu'ils disent, étaient tout de même assez inquiets. Mais
l'autorisation m'a été accordée.
Je profite de ce début d après-midi où la chaleur me retient
dans ma chambre pour vous écrire cette première lettre.
Comme je vous l'ai écrit hier d'Alger j'ai fait un excellent
voyage. A l'arrivée à Marseille j'ai pris un café, été à la
messe, puis je suis descendu lentement à pied par la Canebière
et le vieux port jusqu'à la gare maritime. J'ai trouvé là une
soixantaine d'étudiants stagiaires avec lesquels j'ai tout de
suite sympathisé. Enfin à 1 heures nous partons sur le "Ville de
Tunis" en classe touriste. Bateau très confortable, cabines à 4
etc.. Traversée excellente malgré un vent de travers assez fort
qui nous faisait rouler pas mal, surtout dans le golfe du Lion.
Pour ma part j'ai passé la majeure partie de la journée sur le
pont supérieur à prendre des bains de soleil en écoutant la
radio. Une seule chose pas formidable: les repas, menus aux noms
ronflants mais en réalité très ordinaires (Telle cette
"croustade de cervelle" qui se réduisait à une banale bouchée à
la reine) Pour le prix il ne faut pas trop se plaindre.
A la tombée de la nuit nous sommes passés entre les 2 Baléares
dont nous n'avons d'ailleurs vu que les feux, et après une nuit
excellente c'était l'arrivée, classique mais magnifique
au port d'Alger. Là les 3 qui étions affectés à la
reconstruction à Orleansville (actuellement
El Asnam) avons été pris en charge par une personne du
ministère où nous avons été conduits. Après un petit discours
nous avons eu quelques heures pour visiter la ville qui m'a bien
plu mais pas surpris car je la connaissais déjà bien en photo. A
part le Forum qui est minuscule (à peu près la place des Lices à
Vannes, mais tout en jardins et terrasses). Il y avait
d'ailleurs là un détail amusant une immense croix de Lorraine
lumineuse, entourée à la base de barbelés avec une pancarte
"danger de mort" (à cause de la haute tension)
A 11 heures nous déjeunions chez les CRS au Ministère et à
2 heures 1/2 nous prenions le train: rapide et confortable mais
fort chaud. Voyage agréable, surtout entre Miliana et Affreville
(actuellement Khemis-Miliana)
où l'on traverse la montagne et avant d'arriver dans la plaine
du Chélif que l'on domine de près de 500 m sur un assez long
trajet. Petits arrêts de temps en temps aux endroits des
attentats récents car le voie n'était pas bien réparée ce qui
nous a fait arriver avec 1/2 heure de retard.
Nous avons trouvé Orleansville par 45° à l'ombre (quand on en
trouve, car le soleil est longtemps presque à la verticale)
Chaleur pénible mais assez sèche. On nous attendait à la gare
pour nous conduire "chez-nous". Des baraques assez confortables
avec des chambres à 2 avec lavabos.
Nous avons passé le reste de la journée à visiter un peu la
ville, plus importante que je croyais car si elle a 15.000
habitants, elle est encadrée de 2 villages indigènes de 7 à
10.000 Hab. chacun. Il y a des endroits assez jolis comme le
jardin public et la rue d'Isly (la rue du Mené de là bas) mais
dans l'ensemble c'est un immense chantier poussiéreux (les marques du terrible
tremblement de terre du 9 septembre 1954 - 1 340 morts et 5
000 blessés - étaient encore loin d'être effacées). Il
y règne une atmosphère assez spéciale due surtout à la présence
de militaires en armes à chaque coin de rue, et au couvre-feu à
10 heures. C'est d'ailleurs assez curieux de voir les gens
qui vous disent négligemment: On a lancé une bombe à la Rotonde
ce matin (le Grand Café) ou bien; un camion a sauté sur une mine
sur la route de Ténès ce matin (pour ne parler que des
évènements de ce matin). Mais tout le monde a l'air très calme
et parle de cela comme de la pluie et du beau temps. Ce sont
d'ailleurs en ville toujours des accidents sans gravité (je suis
passé devant la Rotonde à midi et les gens y buvaient comme si
rien ne s'était passé)
Ce matin on m'a affecté au service de l'urbanisme. Dans
l'ensemble tous ces braves fonctionnaires qui travaillent très
au ralenti ne savent que faire des stagiaires qui ne font
pratiquement rien (ce qui ne les empêchent pas de toucher 50.000
F par mois ou plus exactement 49.998 Fr.)
Pour ma part je vais essayer de travailler quand même un peu (on
doit me faire dessiner cet après-midi une façade de
transformateur dans le style local). Quand je travaillerai
depuis plus longtemps je vous en parlerai plus longuement car
pour le moment je ne sais pas encore grand chose là dessus. (je ne sais pas si mon chef
d'oeuvre a jamais été réalisé, mais je me suis bien amusé à le
dessiner. Au pire, il a sans doute disparu dans le tremblement
de terre du 10 octobre 1980, 7,2 sur échelle de Richter, qui a
détruit à nouveau la ville à 80% et tué 3 000 personnes)
Pour manger je prends pension dans un restaurant, assez bon
d'ailleurs pour 600 Fr par jour. Les prix ici sont moins chers
qu'en France; surtout la nourriture, les boissons (40 Fr.
l'Orangina) et les appareils ménagers.
Je vous laisse maintenant pour faire la sieste car je fonds
littéralement,
Le 8 août 1958
Voici déjà 4 jours que je suis à Orleansville et je m'y sens
maintenant tout à fait à mon aise et je vous assure que je
ne regrette pas ce voyage, non pas que je fasse un travail
intéressant (je reviendrai sur ce point) mais parce qu'il me
permet petit à petit de découvrir l'Algérie telle que je
ne l'aurais jamais imaginée. Quant aux conditions de séjour
proprement dites elles ne sont pas mauvaises du tout. Voilà une
journée type. Je me lève vers 7h moins 1/4 alors qu'il fait
encore bon, toilette et petit déjeuner de fruits (raisin,
tomates, pêches etc) qui sont ici très bon marché (25 Fr le Kg
de tomates) Puis je gagne le bureau où j'essaie de
m'occuper comme je peux. Parfois je pars faire une visite de
chantier dans les environs immédiats ce qui est beaucoup plus
intéressant. Je quitte l'atelier vers 11 heures, je vais voir
des amis, prendre une douche, bref je m'occupe jusqu'au
déjeuner à midi 1/2. Nous restons à table une heure environ
puis nous rentrons lentement à cause de la chaleur pour
faire la sieste. A 4 heures je reprends une douche puis je
retourne à l'atelier un moment. En général je m'y ennuie tant
que je le quitte vers 5h1/2. Après quoi je m'occupe de diverses
façons: piscine, lecture, jeux divers. Nous dinons à 8 heures
puis nous rentrons nous coucher. Comme vous le voyez ce sont
pratiquement des vacances fort reposantes.
Pour le moment, je suis à l'atelier (où d'ailleurs l'effectif
est fort restreint) car c'est le seul endroit où je dispose d'un
ventilateur, dehors il fait 44° ce n'est donc pas un luxe! Je
suis en train de mettre au propre le transformateur que
j'habille dans le style local, j'ai pratiquement terminé mais je
ne me presse pas trop car je sais bien que lorsque j'aurai
fini je risque de rester sans emploi un bon moment. Je n'ai qu'à
regarder autour de moi: sur la dizaine de personnes qu'il y a à
l'Urbanisme il y en a peut être 3 à travailler, et quand je dis
travailler...) Je pense aller à la piscine tout à l'heure. Elle
est très jolie pas très grande mais très bien aménagée, la seule
ombre au tableau est que l'eau n'est jamais limpide à cause de
la poussière qui règne en permanence sur la ville. Elle a
cependant belle allure avec ses carreaux de faïence bleue et ses
bougainvilliers grimpant le long de ses murs d'un blanc immaculé
qui luisent sous le soleil.
C'est avec le tennis (mais je ne sais pas y jouer) une de
grosses distractions d'Orleansville à qui le couvre-feu interdit
bal, cinéma, théâtre etc... Il y a bien sûr des exceptions comme
ce petit malin (un élève archi aussi) qui a séduit la fille
du Commandant de gendarmerie, laquelle donne maintes
surprise-parties, et qui se fait reconduire chez lui à 2 heures
du matin sous escorte militaire!
Le vie ici est cependant assez agréable, ne serait-ce que par la
présence de 30 étudiants stagiaires qui sont tous de bons
copains. D'ailleurs les gens sont beaucoup plus accueillants
qu'en France et surtout beaucoup plus solidaires. Le seul
inconvénient est que ce sont presque tous des crapules, je m'en
aperçois de jour en jour et c'est là que je veux en venir (avec l'innocence et l'assurance
de mes 19 ans... voir ce que j'en dit en début de cette page).
On peut considérer que 2 personnes sur 3 parmi les
fonctionnaires d'ici sont des gens qui sont venus se réfugier
ici car ils étaient indésirables en Europe, et chaque jour la
liste s'augmente d'un bon nombre de noms, Ce ne sont que
combines, chantage, passe-droits dont je n'aurais même pas pu
penser que cela existait. Un exemple: Je vais ce matin visiter
des chantiers à la "Bokat Chanoum" faubourg sud d'Orleansville.
Première maison: deux pièces sans fenêtre, murs lézardés,
terrasse fuyante etc. La propriétaire est une vieille arabe
qui est seule. Quel est votre architecte? monsieur N... (Je vais
ré-entendre ce nom 20 fois dans la matinée et chaque fois dans
les mêmes termes). Il s'est bien fichu de vous. Montrez les
plans: Ceux-ci prévoient un logement plus vaste, bien aéré
solide etc. en un mot, totalement différent de celui-là. Combien
avez-vous reçu pour faire celà? (car l'état donne aux arabes de
l'argent pour qu'ils puissent se loger avec décence après le séisme) 370.000
Fr. Combien avez-vous donné à l'architecte ? Ah, vous savez
moi je n'y connais rien, alors c'est lui qui touchait l'argent à
ma place. Il a tout pris? - oui. Nous avons évalué le travail
fait à 100.000 Fr ! Et ce fut ainsi toute la matinée.
Aucune maison ne correspondait aux plans et les bénéfices
de l'architecte se montaient à chaque fois entre 100 et 300.000
Fr (sur des maisons dont la plus chère devait valoir 700.000
Fr). Et tout le monde trouve cela normal. Quand un indigène
se plaint, on lui demande des preuves, comme il n'a jamais de
reçu on en reste là. Il faut dire que cet "architecte" est un
ancien marchand de chaussures qui, après avoir fait
faillite en Europe est venu s'installer ici, sans diplôme.
Et ce n'était pas un cas isolé!
Mais je connais delà des dizaines de personnes qui ne valent pas
mieux. Si on ajoute que tous ces gens sont racistes au maximum,
étonnez-vous que les indigènes se révoltent!
Il y a parmi les stagiaires un étudiant en psychologie qui est
affecté au service chargé de la distribution des pensions, des
prêts et en particulier de l'argent destiné à la reconstruction
des maisons pour les arabes. Il se trouve donc au cœur de
l'affaire et cela lui permet d'alimenter chaque jour les repas
d'un nouveau lot de récits absolument scandaleux. Je pense
qu'après un séjour de 2 mois ici je commencerai à avoir une
opinion assez arrêtée sur l'affaire algérienne et c'est en cela
que je trouve mon séjour intéressant. Enfin je ne veux pas juger
de ce pays à peine 4 jours après mon arrivée, ce serait
ridicule, mais il n'empêche que les horreurs et les saletés que
j'ai vues, je les ai bien vues et ce qui est pire, je n'ai vu
que cela partout!
En dehors de cela je commence à m'habituer fort bien à la vie
ici. Comme les autres je mange des plats très salés afin de
moins suer et donc de moins boire (ce qui ne m'empêche pas de
dépenser une petite fortune en sirops pshitt, pilles et autres
produits.)
Je ne m'étonne plus de voir en ville des militaires en arme
tous les 10 mètres (Il y a au moins 4 ou 5 casernes ici, sans
parler de la territoriale) Je ne sais pas encore très bien faire
la sieste (trouve qu'il fait trop chaud pour pouvoir dormir à
cette heure là) mais j'y viens. Je m'habitue aux femmes voilées
et autres bizarreries locales, comme le marchandage, par contre
je sais qu'il n'est pas la coutume de donner des
pourboires dans les cafés car s'il fallait en donner à
chaque fois qu'on boit on se ruinerait etc..
Et voilà. Comme vous le voyez je ne suis pas malheureux, ne vous
effrayez pas des attentats. Il y a bien eu une bombe le
lendemain de mon arrivée mais elle était pratiquement
inoffensive (un gros pétard quoi!) et c'est un fait assez rare.
Je n'en dirai pas autant de la campagne et l'on m'a défendu de
m'écarter, même de 500 m de la ville, ni d'aller dans les
faubourgs sans escorte. Par contre il m'arrivera sans doute de
traverser des régions dangereuses, ne serait-ce que pour aller
au bord de la mer à Ténès le dimanche, mais c'est toujours sous
escorte militaire et donc on ne risque absolument rien.
Je joins une photo prise à Alger par un photographe
ambulant où je suis avec les 2 garçons affectés à Orleansville
en même temps que moi. Celui de droite est mon compagnon de
chambre.

Quand j'aurai d'autres photos je vous en enverrai. J'en ai pris
une hier pendant la douche. Il n'y a pas d'appareil dans notre
bungalow aussi nous servons nous des pompes à incendie, nous
étions trois en slip avec chacun notre pompe et nous nous
arrosions mutuellement, par cette chaleur c'est très agréable.
Je ne sais pas encore ce que je vais faire dimanche. Tout le
monde ici part à droite ou à gauche. Peut être irai-je à Tenès,
mais je ne pense pas et je crois que je me contenterai de
la piscine.
Par contre pour le 15 août je pense aller quelque part car nous
aurons trois jours de vacances. Peut être Oran, mais cela
va faire un trou dans mon budget. Avec l'ardeur au travail qui
caractérise les fonctionnaires ici, presque tout le monde est
parti ce matin puisqu'on ne travaille pas le samedi
après-midi! si bien que les bureaux sont à peu près
déserts.
Que vais-je encore vous dire? que je n'apprécie pas du tout la
monnaie algérienne qui est trop lourde et qui ne comporte pas de
pièces de 10 Fr ce qui oblige à avoir beaucoup de pièces de 5
Fr. Quant aux billets je n'y suis pas encore bien habitué et
comme il ont une face tout en arabe et que, comme par hasard,
c'est toujour la face que je regarde la première; je dois les
retourner à chaque fois, pas pratique!
Vous ai-je dit que j'étais: attaché aux affaires algériennes.
Cela doit faire bien sur une carte de visite!
11 août 1958
Je vois que vous vous amusez bien à Vannes, mais je crois que
nous avons un meilleur temps ici. Les journées de samedi et
dimanche en particulier ont été terribles: le siroco
soufflait et la chaleur sèche qu'il produisait était
extraordinaire, un camarade me faisait remarquer que
l'impression obtenue, à l'ombre (car je ne parle pas du soleil)
l'après-midi était à peu près celle que l'on a en France quand
on rentre dans une auto qui est restée tout l'après midi au
soleil. Un vrai four! Si bien que tout travail devient
impossible. Samedi à 10 heures j'ai été invité par l'architecte
en chef qui une ravissante petite piscine privée et nous avons
passé toute la matinée dans l'eau, à l'ombre des figuiers et des
roseaux à jouer au water-polo: merveilleux.
L'après-midi, après la sieste,
je me rendais avec des amis à la piscine municipale où je
restais jusqu'à 8 heures du soir. En s'arrangeant comme ça
cette chaleur est très agréable. Dimanche matin
nous sommes allés à Oued-Fodda (à 20 km,
d'Orleansville ) avec des militaires. Là une piscine
magnifique et à une limpidité remarquable que j'ai beaucoup
appréciée.

L'après-midi j'ai fait, la sieste de 2 à 7 heures, sieste
entrecoupée par quelques séances de douche, mais dois dire que,
pour comble de malheur, nous manquons d'eau. Les rebelles ont en
effet fait sauter une conduite à côté d'Oued-Fodda et il faudra
15 jours pour la réparer si bien qu' il n'y a pas d'eau entre 10
et 16 heures.
J'en ai maintenant à peu près terminé avec mon transformateur et
me voici transformé en architecte-paysagiste! Parfaitement. Je
dessine un jardin pour une maison, tenez-vous bien, à
Larmor-Plage! Un peu avant d'arriver à "Le Menez" et au CVO N°3
(vers Kernevel) Tout cela est charmant mais le malheur est que
je manque un peu de documentation sur le terrain dont je n'ai
pratiquement que le plan. Heureusement qu'il faut faire quelque
chose de simple car le propriétaire (un certain monsieur L...)
veut faire son jardin lui même. Voilà.
Pour le 15 août je vais à Oran, je partirai le 14 après-midi
pour rentrer le 18 au matin. Je pense y aller par le train avec
un billet collectif, à moins que je ne trouve une occasion,
quitte à payer l'essence, comme elle vaut 25 Fr le litre ici
cela ne me ruinera guère (vous comprenez après celà que les
algériens ne veulent pas de l'intégration qui leur fera perdre
tous ces privilèges! (c'est
du moins ce que j'imaginais, assez naïvement)) Même en
prenant le train je compte que mon voyage me reviendra tout
compris dans les 6.000 Fr. J'aurais tort de m'en priver,
d'autant plus que la perspective de vacances à Orleansville ne
me sourit guère.
Je continue toujours à m'étonner de ce que je vois. Ma dernière
lettre vous a peut être paru un peu amère mais
vraiment, j'étais outré de ce que je venais de voir. Il est vrai
que l'on s'habitue à tout, même à une administration pourrie. A
part cela ce qui me frappe je crois le plus ici c'est le profond
esprit de caste: "patos", "pieds noirs", "melons"
(respectivement et en argot
parfois assez péjoratif: métropolitains établis ici,
comme moi, européens natifs d'Algérie, indigènes) ne peuvent pas
se sentir, chacun ne s'alliant avec l'autre que pour discréditer
la 3ème catégorie, et je parle pas des dissentiments entre
arabes, berbères, juifs, mozabites etc. C'est très curieux comme
atmosphère.
Je ne pense pas trop sortir ces jours-ci car il y a en ce moment
une recrudescence de terrorisme dans la région: les rebelles ne
peuvent plus rester sur la montagne où ils sont traqués partout,
aussi jouent-ils leur dernière carte en descendant dans la
plaine pour mourir après avoir fait le plus de mal possible. Il
parait que c'est classique mais ne vous inquiétez pas, à
Orleansville même on ne risque absolument rien. Il y a des
militaires en armes tous les 20 m et rien ne leur échappe. Hier
un musulman a cherché à pénétrer dans la ville avec une grenade,
il n'a pas fait 50 m qu'il était mort. Vous voyez, ce ne sont
que fouilles et vérifications d'identité à longueur de journée.
l8 août 1958
J'ai trouvé votre lettre ce matin en rentrant d'Oran. J'en ai
été très content car cela m'a changé les idées au moment où
j'avais le moral un peu bas. Maintenant ça va.
Venant de la douce température d'Oran j'ai trouvé Orleansville
desséché par le siroco et en train de battre un de ses records
de température, il faut s'y remettre et c'est dur.
J'ai passé des vacances merveilleuses à Oran. Sans doute
elles m'ont coûté un peu plus cher que je ne le prévoyais mais
je ne le regrette pas du tout, d'autant plus que je peux
vivre largement avec ce que je gagne. J'ai fait le voyage aller
et retour dans la voiture d'un employé de chez Esso à
Orleansville en compagnie d'un architecte du Commissariat.
Voyage agréable et rapide en passant par Mostaganem et ensuite
pas la côte. A ce propos il ne fallait pas vous faire de bile:
la route 0rléansville-0ran, très fréquentée est bien moins
dangereuse que le train qui saute encore assez souvent. Elle est
d'ailleurs très bonne et l'on peut se permettre d'aller assez
vite
pour ne pas craindre les mines qui sont assez lentes.
Là bas nous avons eu une surprise désagréable. Celui qui était
chargé de retenir les chambres à l'hôtel s'était trompé et je
n'étais assuré d'un logement que le jeudi soir. Nous avons donc
passé toute la matinée de vendredi à chercher un hôtel et en
trouver un le 15 août à Oran, c'est un gageure! Bref cela m'a
fait visiter la ville de fond comble, ce dont je ne me
plains pas et, à midi nous avions déniché l'oiseau rare,
d'autant plus rare que nous étions 5 à loger (nous étions venus
à 18 à Oran). Je passe sur les difficultés et les réticences
de la propriétaire qui semblait se noyer dans une goutte
d'eau mais enfin nous étions logés fort décemment et pour un
prix dérisoire (environ 300 Fr par personne et par jour)
dans des chambres à 2.

tout un programme...
L'après midi nous avons été nous baigner et je vous assure que
j'ai retrouvé la mer avec un plaisir immense. Il y a à côté
d'Oran sur la corniche, une dizaine de km de plages de sable fin
alternant avec d'amusants petits rochers, avec à l'arrière plan
une cascade de villas, jardins, dancings et casinos. C'est
presque la côte d'Azur. Ce serait parfait s'il n y avait pas
tant de monde. Dimanche, en certains endroits on ne voyait plus
le sable ni la mer à 50 rn du rivage tellement il y avait de
monde entassé sous les parasols ou faisant causette dans l'eau
(car si l'on n'a pas l'avantage d'un coin d'ombre, c'est le seul
endroit qui soit agréable). La plage en effet est brûlante à ne
pas pouvoir la traverser pieds nus. Devant la plage il y
avait des quantités de bateaux à voile cherchant le vent en vain
tandis que les hors-bords et les skieurs évoluaient autour.
L'eau était délicieuse, on y resterait des heures. Vers le soir
c'est parfait car il y a de l'ombre, le soleil étant dans le dos
de la plage et la côte assez escarpée.
Samedi matin j'ai complèté la visite d'Oran avec un camarade: un
libanais fort sympathique qui vient d'être affecte dans un SAS à
Bougainville (actuellement
Sendjas).

Oran est une ville très agréable, beaucoup plus animée qu'Alger,
surtout le soir car la région est très calme et qu'il n'y a pas
de couvre-feu. Il y a de grands boulevards très agréables,
et d'amusantes petites rues, grouillantes de vie et qui ont
la particularité d'être très espagnoles. Il y a en effet
beaucoup d'espagnols à Oran et l'on entend parler cette langue
presque autant que le français et plus que l'arabe. C'est très
agréable comme ambiance. Les gens sont beaucoup plus
décontractés qu'en France et tout respire un petit air de
fête.
Nous avons visité ce matin là les quartiers arabes et espagnols
ainsi que les jardins qui sont nombreux et magnifiques. Il y en
a un en particulier qui domine le vieux port sur plus d'un km et
qui est ravissant.
L'après-midi nous sommes retournés à la plage, mais cette fois à
l'autre bout de la corniche oranaise qui est mieux à mon avis
que le début. Nous en sommes revenus tout bronzés ce qui n'est
pas un mal car à Orleansville c'est une chose impossible: primo
il n'y a pas assez de réverbération et secundo on évite le
soleil comme la peste.
Dimanche matin j 'ai fait la grasse matinée car je m'étais
couché tard la veille et je n'ai guère fait autre chose que
d'aller à la messe.

L'après midi de nouveau à la plage mais cette fois au milieu. Le
soir J'ai été au cinéma car c'était une chose dont je suis
privé depuis que je suis en Algérie. La salle était réfrigérée
et il faisait délicieusement bon. Il faut dire que ce jour là il
y avait 30° à l'ombre et que tout le monde se plaignait de la
chaleur! sauf nous bien entendu. (réflexion de l'ouvreuse en nous plaçant: "vous
autres les militaires, vous avez beau vous habiller en civil,
on vous reconnaît du premier coup". Perdu!). Je crois
que je deviens frileux et que je vais avoir froid en revenant en
France. La soirée s'est terminée devant un énorme verre de crème
chantilly glacée (encore une chose pas chère du tout ici.)
Et ce matin, je suis rentré et j'ai retrouvé Orleansville et son
"doux climat" vers 11 heures.
A Oran nous mangions à la Croix Rouge pour 200 Fr. C'est une
cantine pour militaires et étudiants pas mal du tout. Nous y
avons trouvé 2 étudiant stagiaires dans la SAV d'Oran (les
veinards). Ils se plaisent beaucoup, ils sont logés dans une
ancienne villa avec piscine, douches etc... Il y en a qui ont de
la chance!
Nous devons aller la semaine prochaine faire une visite au
barrage de Lamartine (actuellement El Karimia). Il est aussi prévu
je crois une visite des ruine romaines de Cherchell mais c'est plus problématique.
Mon voisin vient d'être affecté dans un SAS à coté d'Affreville,
c'est dans la montagne, il sera un peu perdu mais il aura moins
chaud.
Le 2l août 1958
Enfin il fait bon Orleansville! Après deux jours de très grosse
chaleur à mon retour d'Oran le temps s'est rafraîchi petit à
petit et aujourd'hui il fait très bon presque frais même quand
le soleil est couvert et ces quelques 30° nous changent
agréablement des 43-44 de la semaine passée. Mais ce
rafraîchissement n'a pas l'air d'avoir donné plus de cœur à
l'ouvrage aux employés de l'Urbanisme qui n'en font toujours pas
plus malgré l'adjonction d'une nouvelle secrétaire. Nous non
plus d'ailleurs. J'ai fini avant hier mon jardin de Larmor et le
propriétaire s'en est montré enchanté parait-il. Il s'agit d'un
capitaine de gendarmerie, ami de l'architecte en chef à qui il
rend quelques services, et qui se fait construire une maison à
Larmor. Pour lui être agréable M. L... lui avait promis ce
jardin. Depuis, comme je le craignais je n'ai plus rien à faire.
Hier j'ai lu un roman policier, ce matin j'ai été visiter des
chantiers à la Bokat-Sahnoum et à Orleansville même. J'y ai vu
en particulier la future synagogue et un ensemble d'appartements
et de magasins assez réussi. Cet après midi je vous écris. J'ai
presque honte de gagner ainsi de l'argent à ne rien faire mais
que voulez-vous, ce n'est pas de ma faute si l'on a rien à me
faire faire. Tous les services sont plus ou moins paralysés du
fait que les 3/4 du personnel est en vacances et les
dossiers n'arrivent plus.
Mon voisin de chambre étant parti dans un SAS à côté
d'Affreville j'ai déménagé et je loge maintenant avec un
alsacien bien gentil mais un peu trop original: le genre de
type qui aime beaucoup discuter de tout d'une manière très
catégorique et qui émet des idées personnelles qui ne sont pas
toujours très bien accueillies par les employés du
commissariat qui le redoutent, car il a malgré tout un
certain poids. Si j'ajoute qu'il parle un français rocailleux
avec un accent abominable, vous voyez que je n'ai guère de
tranquillité. Cependant, comme c'est un gueulard, il s'est fait
attribuer ventilateur, poste de radio, pick-up, etc. dont je
bénéficie par contre-coup, ce qui n'est pas si mal.
Nous verrons comment cela ira: mes prédécesseurs n'ont
pas pu tenir le coup plus d'une semaine!
Tous les soirs à 6h 1/2 nous nous retrouvons à la piscine de M.
L... dont je vous envoie une photo. Imaginez le ciel bleu, les
arbres de tous les verts possibles, les bougainvilliers violets,
la piscine blanche avec l'eau légèrement verte et vous aurez une
petite idée.

Nous sommes là tout un groupe: M. L..., grand, blond, maigre,
petite moustache, dans les 35 ans, ancien élève des Arts
Décoratifs; Sa femme, petite, blond cendré, ravissante et fort
aimable, qui travaille à l'hôtel Baudouin (l'hôtel chic
d'Orleansville); Monsieur A..., seul architecte DPLG du
commissariat, petit, brun, trapu une trentaine d'années avec une
jambe plus courte que l'autre; sa sœur enceinte, et beau-frère,
urbaniste diplômé de l'Institut d'Urbanisme de la Faculté de
Paris, tous deux très jeunes et très sympathiques (ce dernier
nous accompagnait à Oran); M. D..., un bordelais qui travaille
chez Esso (celui-là même qui me conduisit à Oran)
petit blond-châtain, très athlétique avec un accent
chantant formidable, 25 ans environ; José C... un espagnol
maigre comme un clou, chef d'agence, 30 ans. B... un yougoslave
de 19 ans, très brun aussi, employé à l'urbanisme et enfin 4
étudiants, Pavy grand et fort et PiIlet (dit cacahuète) petit et
maigre avec des lunettes, tous deux à l'Ecole des TP; Puis
Dufour petit avec un collier de barbe, qui vient de passer
l'admission à Paris et moi. Ajoutez les visiteurs accidentels,
telle Monique, étudiante stagiaire à la SAS de la Boccat-Sahnoum
ou Mme L..., la secrétaire-vamp du commissariat et vous
connaissez à peu près tout le monde.
L'ensemble forme un groupe assez sympathique, très jeune,
puisqu'il s'étage entre 19 et 35 ans au maximum. On se baigne,
on joue au water-polo, on bavarde, on discute, on écoute des
disques, on bricole, c'est très agréable et le temps y
passe très vite. Ces séjours à la piscine sont les meilleurs
moments de la journée. D'autant plus que les distractions sont
rares ici, à part les stages dans les cafés ou au restaurant, où
nous nous retrouvons une bonne douzaine d'étudiants (les autres
mangent ailleurs).
Aujourd'hui nous y avions ce midi du couscous, c'est la première
fois que j'en mangeais et, ma fois, ce n'est pas mauvais du tout
avec cette sauce au piment qu'ils y mettent et qui vous emporte
la bouche. Moi qui aime les choses fortes, j'étais servi! J'ai
aussi voulu goûter aux brochettes de foie et de rognons ou de
petites saucisses pimentées que l'on fait cuire sur du charbon
de bois et que l'on mange avec ses doigts, ce n'est pas si
mauvais que cela; c'est même très bon!
Le couscous est un plat qui
nous est arrivé depuis l'Algérie, par les militaires envoyés
là-bas. Mais cela a pris un certain temps. En 1958 il était
encore impossible de se faire servir ce plat exotique à
Vannes, qui était pourtant une ville de garnison. J'avais donc
entendu parler de couscous, mais n'avais jamais eu l'occasion
d'y goûter.
N'ayant rien reçu de vous je vous envoie quand même ma lettre
espérant ainsi avoir une prochaine réponse plus tard. Les
lettres que je reçois étant une de mes principales distractions,
vous comprenez que je tiens à en recevoir le plus souvent
possible. Ecrivez-moi donc chaque fois que vous pouvez, même si
vous n'avez pas grand chose à me dire.
Pour ma part il ne s'est rien passé de spécial depuis hier. Nous
avons eu une soirée et une nuit particulièrement fraîches, mais
cet après-midi il me semble faire plus chaud qu'hier.
Hier soir j'étais invité par mon voisin de chambre
l'Alsacien à déjeuner dans son restaurant avec des amis à lui.
C'était trè gai et la soirée avait bien commencé, dommage qu'il
y ait le couvre feu. Par contre, tout gentil qu'il soit, je
commence à comprendre pourquoi personne ne veut habiter avec
lui. C'est le genre infatigable, capable de discuter sur un
point pendant des heures (ou plutôt de monologuer car on ne
l'écoute bientôt plus) qui ne peut rester deux secondes en
place, ayant toujours quelque chose à faire avec force bruit.
Tant que je ne serai pas trop fatigué cela ira, après on
verra bien.
Avec la photo de la piscine je vous envoie celle de mon premier
compagnon de chambre et de mon voisin en train de prendre une
douche, sport fort agréable dont nous usons le plus souvent
possible (voir plus haut).
25 août 1958
J'ai passé cette semaine un excellent week-end.
Samedi après-midi je n'ai pas fait grand chose ayant dormi de 2
à 5 puis passé le reste du temps à la piscine dans laquelle je
me suis d'ailleur peu baigné car on venait de la remplir et je
la trouvai trop froide, si bien que nous avons surtout lu, et
écouté des disques. Vous ai-je dit que vendredi nous l'avions
vidée et nettoyée tous en chœur et que cela avait été très
amusant. Pavy et Cacahouète qui revenaient du bain maure et qui
n'avaient jamais été si propres de leur vie étaient écœurés de
devoir patauger dans la boue ainsi (car l'eau ici laisse
beaucoup de dépôt) après ils étaient mûrs pour retourner au bain
maure.
Dimanche j'ai été à Ténès où j'ai retrouvé deux autres
stagiaires, l'un de Versailles, Tranier, et l'autre de Chalon
sur Saône: Rush (avec un accent abominable).
Je ne regrette pas d'y être allé et je compte le refaire à
chaque fois que je pourrai. La route penant les 10 derniers Km
est merveilleuse, Elle traverse des gorges très profondes et
vraiment imposantes sur une petite corniche dominant d'une
cinquantaine de mètres l'Oued Allala et de chaque côté les
rochers montent presque à pic avec accrochés à leurs flancs, une
multitude de pins. C'est magnifique. Le seul inconvénient est
que toutes ces hauteurs sont aux mains des rebelles, mais le
route est tellement fréquentée et surveillée, surout le
dimanche, qu'il n'y a aucun risque d'embuscade. Tout au plus
doit on faire ouvrir la route par l'armée, car le matin il
y a parfois des mines.
Au sortir de ces gorges on arrive sur Ténès en contre-bas,
massée sur une petite plate-forme, au flanc de la montagne qui
plonge presque à pic dans l'eau.

arrivée à Ténes: la cité
d'urgence au 1er plan gâche un peu le paysage
L'ensemble est ravissant: Imaginez une vaste baie dominée par
des montagnes aux teintes vives (rouge et ocre dans bas, bleuté
dans le haut) couvertes jusqu'à mi-hauteur de pins, de pins
parasols en particulier, et dont les sommets se perdent dans les
nuages et en bas la ville, toute blanche, avec un tas de
villas et d'hôtels, la plage (assez vilaine il est vrai car le
sable est brun) et, un charmant petit port d'opérette. Le
tableau vaut le coup d oeil.

Nous y avons passé une journée fort agréable. Arrivés vers 9
heures nous sommes restés sur la plage jusqu'à midi (je dis sur
la plage, je devrais dire dans l'eau) tour à tour nous
baignant dans rochers ou nous rôtissant.au soleil (j'en ai
ramené un beau petit coup de soleil au bras).
A midi nous avons été au restaurant que nous avons trouvé fort
cher (mais à Ténès c'est le coup de fusil partout) puis comme il
faisait trop chaud pour sortir et qu'il y avait là un
piano, Tranier nous en a joué pendant plus d'une heure, et
cornme il joue fort bien, y avait un cercle d'admirateurs.
autour de lui: valses de Chopin, fugues de Bach, rapsodie de
Litz, prélude de Rachmaninoff, tout y est passé. Puis nous avons
regagné là plage que nous avons quittée à 5 heures afin de
rentrer avant la nuit qui vient assez tôt ici et parce qu'il est
malsain de passer sur la route à ce moment là) juste à temps
pour avoir la messe du soir à 7 heures. (La semaine suivante, la plage de
Ténès a été mitraillée depuis les collines en surplomb;
quelques blessés légers, la routine quoi! Je n'en ai rien dit
aux parents, bien entendu)
Mon voisin de chambre devient un peu plus vivable. En tous cas
il reste absent tout la semaine, je serai très tranquille, Il
m'a fait inviter samedi soir à une surprise-partie à Miliana.
J'hésite à y aller car c'est quand même à une centaine de km
d'Orleansville mais, d'autre part, il paraît que le coin est
magnifique. Je verrai.
C'est d'ailleurs curieux comme ici les distances comptent peu.
Les gens d'Orleansville vont à Ténès comme on va à Conleau et
ils vont facilement passer le week-end à Mostaganem ou à
Oran. C'est très curieux.
Je viens de recevoir votre lettre merci. Je crois que nous avons
meilleur temps ici qu'à Vannes, surtout maintenant que les
grosses chaleurs sont passées.
29 août 1958
Je viens d'avoir un excellent début de semaine. Enfin j'ai
réussi à avoir quelque chose d'à peu près sérieux à faire: on
m'a donné à "pondre" un "dar el eski" c'est à dire une maison du
combattant pour Orleansville. Pour l'instant je travaille sur le
plan que je suis en train d'établir suivant les règles du modulor
de Le Corbusier, ainsi qu'on me l'a demandé, ce qui m'a permis
de prendre connaissance de cette théorie qui est fort
intéressante. J'y ai travaillé lundi et mardi et au moins
j'avais l'impression faire quelque chose.
Lundi matin j'avais visité le chantier du collège et celui de la
synagogue. Mercredi je suis monté Béni-Rached et ce sera
certainement un des meilleurs souvenirs que je garderai de ce
stage. Beni-Rached est une agglomération de villages à une
quarantaine de km d'Orleansville et qui a le privilège d'être un
des endroits les plus pittoresques du Chélif et aussi
l'épicentre du séisme de 1954. Y aller n'est d'ailleurs pas de
tout repos car si le première partie du trajet est assez bonne,
les 20 derniers km sont constitués par une piste poussiéreuse et
tortueuse se glissant en épingles à cheveux à flanc du Tell (la
montagne séparant la plaine du Chélif de la mer. J'ai fait le
trajet en jeep et j'étais couvert de poussière en arrivant. Mais
le déplacement en vaut la peine! Imaginez, perdus un peu partout
sur le flanc de le montagne des-petits hameaux d'opérette avec
leurs cases de torchis et leurs sentiers bordés d'agaves, de
figuiers de barbarie et d'oliviers, avec dans les vallées une
mer d'eucalyptus alignant tous les verts de la création et, au
loin la silhouette des monts de l'Ouarsenis se détachant en gris
bleu sur le bleu intense du ciel c'était magnifique et je ne me
suis pas privé de prendre des photos.

Mais c'était surtout très pittoresque car la population est
restée beaucoup plus "nature" qu'à Orleansville.

scène de battage
Nous allions de hameau en hameau, en jeep quand c'était
possible, mais malgré les possibilités extraordinaires de ce
véhicule, plus souvent à pied, visitant chantier sur
chantier. Partout les gens offraient quelque chose: qui un
poulet, qui une douzaine d'œuf. Peut être pas très correct
d'accepter, mais ce serait les offenser que de refuser, alors...

ces petites constructions
rondes sont des fours
L'un d'eux, vers 10 heures nous offrit un véritable repas:
pastèques, couscous avec du poulet, des œufs et une délicieuse
sauce au lait et aux piments, re-pastèque puis thé à la menthe.
Le tout avec des prévenances inimaginables: place de choix sur
le divan, lavement des mains etc...Figurez-vous que l'eau qu'ils
nous offrirent venait de 12 km à dos de mulet! Je connais bien
des touristes qui auraient donné cher pour être à ma place ce
jour là (mais en y repensant,
j'avoue que j'ai un peu honte d'avoir participé à ce qui était
manifestement - et j'en étais bien conscient - une tentative
de corruption de fonctionnaires).

un "marabout", tombeau de
saint comme il y en avait un peu partout
Le lendemain jeudi nous avons fait du tourisme. En effet nous
avons été à une vingtaine, visiter le barrage de Lamartine
sur l'Oued-Fodda. Encore une journée mémorable! celle-là.
Je crois que j'ai rarement vu de paysage plus grandiose que
celui qui entoure le barrage. On y arrive par une assez bonne
route (nous étions en car) mais toute en lacets, qui quitte peu
à peu la plaine pour s'élever dans le massif de l'Ouarsenis et
petit à petit le paysage change. Les pentes se couvrent de pins
et les formes des rochers sont de plus en plus aiguës. Pendant
un moment avant d arriver au barrage on domine d'environ
200 m les gorgés de l'Oued-Fodda, à peu près à sec d'ailleurs
mais tapissées au fond de lauriers roses en fleurs, et puis on
arrive au dessus du barrage qui retient un lac splendide
aux eaux vert émeraude.

Là encore j'ai pris de nombreuses photos, malheureusement
le temps était couvert, prélude à un orage, (mais un orage sec,
sans pluie) que nous avons eu dans la soirée.
Le matin nous avons visité le barrage de fond en comble
sous la conduite d un guide fort intéressant.

Puis avant le repas nous avons pris un bain dans le lac, qui
était délicieux et très chaud. Nous sommes ensuite allés à la
cantine en bateau où la maison nous offrait un repas.
Malheureusement après le repas le sirroco s'est mis à souffler.
Je n'avais encore jamais vu de vent aussi fort ni aussi chaud.
Le ciel était noir, il y avait du tonnerre et le sable qui
volait formait un épais brouillard. A Orleansville ce jour là il
y eut plusieurs arbres cassés et un mur qui s'est écroulé. Vers
3 heures 1/2 comme cela cessait un peu nous sommes repartis
visiter l'usine, 4 km plus bas dans la vallée, au milieu
des eucalyptus et des lauriers roses. Là encore nous
avons été très bien accueillis et la visite a été
très intéressante. Encore une journée dont je garderai un
bon souvenir.
Aujourd'hui c'est jour chômé à cause de la visite du Ministre de
la reconstruction. On attendait de Gaulle, mais au dernier
moment il s'est décommandé ce qui fait que le ministre a
bénéficié de tout ce qu'on avait préparé pour de Gaule Il y a
dans les rues an déploiement inimaginable de gendarmes,
mais à part cela je n'ai encore pas vu grand chose, m'étant levé
tard. (le général de Gaulle
était déjà venu en Algérie le 13 mai de cette année là, après le coup
d'état des généraux)
2 Septembre 1958
Rentrant à Orleansville hier soir J'ai trouvé la lettre de maman
dont je vous remercie bien. Je vois que le temps en France est
toujours aussi mauvais, ici le ciel reste immuablement bleu et
les jours de grosse chaleur sont de moins en moins nombreux.
J'ai passé un week-end excellent. Samedi matin je rencontre au
bureau un stagiaire de Miliana, venu pour se faire payer, qui me
dit qu'il allait à Tipasa l'après midi. Comme j'avais renoncé à
la surprise-partie qui d'ailleurs avait l'air d'être plus ou
moins tombée à l'eau, je décidai d'aller à Tipasa avec lui. (A
ce propos que maman ne s'inquiète pas, on ne circule jamais sur
les routes la nuit en Algérie, car en général elles
sont fermées à 6 heures du soir. Si j'avais été à cette
surprise-partie, je serais parti samedi après-midi et rentré
dimanche). A midi 1/2 nous étions à Miliana. C'est une charmante
petite sous-préfecture, perchée aux flancs du Zacca et dominant
d'un à pic de près 700 m Affreville et la vallée du Chélif. De
la haut la vue est magnifique. Il y règne un calme étonnant et
la température, assez fraiche, y est idéale. J'ai déjeuné au
mess des sous-officiers, pas fameux mais pas cher non plus et,
après la sieste, pous partions pour Tipasa avec un entrepreneur
d'Affreville qui y a une villa. Nous étions 4
étudiants-stagiaires: un de la SAS de Miliana, un de Ponts et
Chaussées, une infirmière de l'hôpital et moi. Tous très
sympathiques.

Route assez agréable, très verte mais assez longue car à cause
des routes interdites il fallu remonter jusqu'à El-Affram pour
revenir ensuite en arrière. Mais Tipasa vaut mille fois le
voyage. II s'agit d'une ville romaine entière avec ses temples,
ses théatres, ses rues, son forum, etc.. pas mal conservée et
qui se trouve englobée dans. un parc magnifique dominant la mer.
On ne peut rêver un meilleur cadre pour une telle chose. Et
c'est immense: il y en a des kilomètres!
Il y avait fort peu de touristes, à part les militaires (il n'y
en a plus depuis les évènements) et nous avions la ville
presque nous seuls. Et c'est très agréable de visiter
un endroit aussi bien, sans mercantilisme ni modernisme exagéré.
Je crois que si je voulais passer un jour des vacances
reposantes c'est là que j'irai.
J'ai un peu peur de me répéter mais vous ne pouvez imaginer
grandeur et la beauté de l'endroit. Lorsque vous passez entre
les temples et les forums enfouis dans les pins et les oliviers,
avec de échapées sur là mer d'un bleu de carte postale, c'est
splendide. Nous avons. mis toute la journée pour visiter, en
nous baignant de temps en temps dans les rochers ou sur les
petites plages qui se trouvent au pied des ruines.

Nous avions trouvé un hôtel formidable et pas cher du tout.
(c'est bien simple. J'ai calculé que j'avais dépensé pendant le
week end la même somme que j'avais gagnée pendant le même temps,
à peine même!) Nous avions des chambres très correctes et
des repas formidables. Je vous donne le menu de
dimanche midi: Bouillabaisse (très copieuse) hors-d'oeuvres
variés, rougets, lapin aux champignons avec petits pois et
autres légumes, fromage, éclairs, fruits. Le tout très copieux
et fort bien préparé pour 700 Fr (vins et service en plus)
Avouez que pour un pays comme l'Algérie où les restaurants sont
dans l'ensemble plus chers qu'en France, ce n'était pas mal.
D'ailleur le soir nous n'avions plus faim!
Le soir l'infirmière et celui de la SAS sont repartis car il
étaient pressés mais l'autre et moi étions tellement enchantés
du pays que nous avons décidé de ne rentrer que lundi, sachant
très bien que personne ne nous dirait rien. Nous voulions
visiter le musée de Cherchell à 25 km de Tipasa, qui est un des
plus riches au monde en antiquités romaines, mais arrivés à
Cherchell nous avons trouvé le musée fermé. Nous nous sommes
consolés en visitant le reste: cirque, théâtre, thermes etc.
Cherchell était sous l'empire romain la capitale de la
Maurétanie (c'est à dire de l'Afrique du Nord moins une partie
du Maroc) aussi les ruines sont elles très imposantes mais en
assez mauvais état car elles ont servi longtemps de carrière. De
plus la ville actuelle, assez importante, est bâtie sur
l'emplacement de l'ancienne ce qui rend les fouilles presque
impossibles.
L'après-midi je rentrais à Orleansville juste à temps pour me
faire payer (nous étions
payés à la semaine, à la mode américaine). Ce matin on
m'a apporté mon poste de transformation auquel il fallait faire
quelques retouches pour des causes techniques, ce qui a été
l'affaire d'une petite heure. Maintenant je travaillerai sur mon
Dar el eskri dont le plan est maintenant fort avancé.
J'ai retrouvé mon camaradé de chambre, célébrité à Orleansville
depuis qu'il a fait vendredi les 3/4 des frais du discours que
le ministre de la reconstruction a fait sur la grand place.
Celui-ci a en effet dit qu'il avait rencontré la veille sur le
chantier de Bach, qu'il visitait, un jeune étudiant de Saverne,
avec qui il avait longuement parlé et qui lui avait prouvé qu'il
y a encore des jeunes qui ont foi en l'Algérie et... vous
pensez si ce brave alsacien est connu après cela!
Vous ai-je dit que j'ai changé de restaurant? J'en
ai trouvé un meilleur et moins cher, mais j'ai hâte de
retrouver un peu la cuisine au beurre, tout à fait inconnue ici.
A propos, dimanche soir je me promenais avec les amis sur
la "via decumanus" qui traverse les ruines de Tipasa et
l'infirmière dis qu'elle imaginait très bien les romains de
Tipasa faisant la via decumanus comme nous et se retrouvant tous
là pour bavarder et, à ce moment je lève la tête et je vois
venir Jean-Luc le Douarin (notre
voisin à Vannes) qui arrivait en face nous avec un
autre Vannetais. Comme le monde est petit tout de même!

Ici, déjà on commenceà parler de départ. J'ai reçu ce
matin un papier où je dois indiquer la date qui me plaira pour
partir. J'ai presque envie de rester jusqu'en octobre et de
rendre à Alger ma première annalo (la chose est faisable) cela
me gagnerait du temps et me permettrait de prendre ensuite une
semaine de vacances à Vannes en toute tranquillité. (l''Ecole Nationale Supérieur des
Beaux Arts était, comme elle l'est encore, centralisée à Paris
mais comportait un certain nombre d'ateliers dits
"extérieurs", qui lui étaient ratachés, dont ceux de Rennes,
où j'étais, et celui d'Alger et il était très facile d'obtenir
l'autorisation de passer, provisoirement ou définitivement,
d'un atelier à un autre).
J'ai téléphoné ce matin aux Beaux-Arts à Alger pour me faire
envoyer un texte de la prochaine annalo (il s'agit d'une étude analytique
d'un bâtiment ancien, dessinée avec précision, avec des
efforts de présentation. Les études d'architecte débutaient,
après le concours d'admission aux Beaux-Arts, par la
présentation et l'acceptation de 3 de ces études) dont
le rendu a lieu le 3 octobre. Par conséquent étant arrivé le 3
août et devant rester 2 mois j'ai tout intérêt à la faire ici et
j'ai demandé à rentrer le 4 octobre
Pour ce qui est de l'annalo cela dépendra des facilités de
voyage et d'hébergement à Alger car il me faudrait y aller
chaque semaine. (finalement j'y ai renoncé)
11 septembre 1958
Quelle semaine! J'espère que vous me pardonnerez de ne pas vous
avoir écrit plus tôt quand je vous aurai raconté tout ce que
j'ai fait cette semaine.
Jeudi M. L... me dit: je vais cet arrès-midi à Alger, cela vous
intéresse t-il? Et comment!

débouché sur Alger, par le
col du Kandek
Jeudi soir j'étais donc à Alger. En me promenant, je tombe sur
un stagiaire de Miliana qui travaille aux Ponts et Chaussées et
qui était à Alger avec les autres stagiaires des travaux
publics à qui on est en train de faire visiter l'Algérie..
Que fais-tu demain? me dit-il. Je n'avais aucun but
précis. "Nous visitons l'après-midi les établissements Neyrpic
(hydraulique) viens donc avec nous" C'est ainsi que vendredi
après-midi, après avoir visité Alger le matin (casbha (il fallait une bonne dose
d'inconscience pour avoir osé y pénétrer! mais on m'avait dit
à l'hôtel que c'était calme. Seul européen, perdu dans un
dédale de ruelles au milieu de gens qui me regardaient avec
surprise, j'ai vite réalisé qu'il était préférable de ne pas
m'y attarder, j'en suis resorti par le haut et l'ai contourné
pour revenir en centre ville), jardin d'essai, mosquée
etc..) je me retrouvais avec les stagiaires des Ponts.

dans la casbah
Je ne regrette pas cette visite. Ces établissements étudient en
particulier les principaux ouvrages hydrauliques en maquettes et
c'est fort intéressant. Pour nous faire comprendre on nous a
montré, entre autre, la maquette du futur port d'Alger, maquette
au 1/100 (je crois) où l'on étudie les effets de la houle avec
des machines à faire des vagues artificielles. Nous avons vu les
diiférents projets successifs avec leurs graphiques montrant
leurs avantages et inconvénients. Puis nous avons vu les autres
maquettes ponts, barrages etc.) puis deux films sur cette
technique d'étude et enfin les différents ateliers de l'usine
qui est assez diverse, depuis le matériel d'irrigation jusqu'aux
casques de pétroliers, en plastique, en passant par les ponts
roulants.
Le lendemain je quittais Alger et me postais au poste de
contrôle militaire de Maison Carrée pour faire du stop. Au bout
d'un moment les militaires m'arrètent un camion qui allait à
Hassi-Messaoud (au Shara) via Constantine, Biskra et Toggourt.
Les chauffeurs acceptent de me prendre et comme ils doivent
revenir en fin de semaine je pourrai revenir avec eux. C'est
l'occasion idéale, d'autant plus que M. L... m'a donné "carte
blanche". Hélas! le soir, à la sortie de Sétif à 300 km d'Alger
contrôle militaire "Vous avez un laissez-passer? "Non" "Alors
vous ne pouvez quitter Sétif". C'est ainsi que je suis resté à
Sétif jusqu'à mardi matin dans l'attente de mon laissez-passer
tandis que mon camion continuait sans moi vers le sud. J'étais
furieux mais il n'y avait rien d'autre à faire.
Cela je ne l'ai bien entendu
pas mentionné dans la lettre à mes parents mais mes deux
lascars de routiers n'ont rien trouvé de mieux à faire, le
soir à Sétif, que de m'emmener au bordel (ils étaient légaux
en Algérie). J'étais mineur mais, étant accompagné et,
certainement par deux habitués des lieux, on a fermé les yeux.
Toutes les maisons closes de Sétif étaient regroupées autour
d'une place, bien gardée par l'armée et de diverses
catégories. Nous sommes allés à celui fréquenté par la bonne
bourgeoisie locale, qui venait y tromper son ennui en
attendant l'heure du couvre-feu et j'ai vraiment eu
l'impression de faire brusquement une plongée dans un roman de
Maupassant. Un souvenir pitorresque et rien de bien méchant en
fin de comptes.
Je ne regrette quand même pas ce voyage car il m'a fait voir pas
mal de pays et en particulier il m'a permis de traverser la
Kabilie qui est de toute beauté (et particulièrement les gorges
de Palestro...

... et les Portes de Fer qui, en France attireraient une foule
de touristes).
A Sétif j'ai passé le temps comme j'ai pu, allant au cinéma en
particulier (je me souviens
avoir été frappé par le fait qu'à part une famille, bien
calfeutrée dans une loge, il n'y avait pas une seule femme
dans la salle). Il y faisait une température idéale et
la ville elle même, assez importante est très gaie et très
animée, il y a en particulier une grande avenue bordée
d'arcades et de cafés, qui traverse le centre de la ville et qui
le soir fourmille de monde. Mais, question architecture il n'y a
rien à voir et question ambiance, à part le fait que les femmes
arabes y sont en noir au lieu d'être en blanc, cela ne change
pas beaucoup d'Orleansville.

Je comptais aller à Djémila qui est une ville romaine à
une quarantaine de km de là mais c'est impossible car c'est
aux mains des Fellaghas.
Enfin lundi soir j'avais un laissez-passer (par faveur spéciale
- on m'avait laissé rentrer
dans Sétif par erreur, il fallait bien que l'on m'autorise
d'en sortir! J'ai aussi eu la honte, étant européen, de me
voir prié de passer devant une longue file d'indigènes qui
attendaient patiemment leur tour. Ce petit privilège colonial
m'avait fait mal) et mardi je rentrais. Je comptais
rentrer en avion car c'était plus économique et cela me faisait
gagner une journée, mais il n'y avait plus de place aussi
suis-je rentré par le train (8 heures Sétif-Alger! - en première classe tout de même,
car il y en avait 3) Bref, hier mercredi soir j'étais
de retour à Orleansville où tout le monde se demandait ce que
j'étais devenu. Cette petite aventure d'une semaine m'a coûté
assez cher (je me suis même
payé le culot d'aller à St Eugène, emprunter un peu d'argent
aux parents de monsieur L... pour pouvoir achever mon périple
et, en même temps, visiter Notre-Dame d'Alger), mais si
c'était à refaire je le referais car je suis très content de
connaitre l'est de l'Algérie.
Aujourd'hui il y avait une visite à l'usine de la
Campenon-Bernard à Oued-Fodda (fabrique de tuyaux et de
conduites de béton pré-contraint pour l'irrigation et
l'alimentation en eau des villes). Visite fort intéressante
suivie dun repas formidable. Malheureusement je me suis laissé
prendre par les vins, des grands crus algériens, excellent mais
très forts et, à ma grande honte, j'avais du mal à marcher droit
en sortant de table. Je suis reste couché tout l'après-midi et
maintenant, bien que la tête me tourne un peu, cela va mieux,
mais mon écriture n'est pas encore bien fameuse comme vous
pouvez le voir.
J'ai trouvé en rentrant vos deux dernières lettres. Je crois que
vous ne m'avez pas très bien compris au sujet de l'annalo. Mon
contrat qui est de 2 mois m'oblige à rester en Algérie jusqu'au
4 octobre (en fait il y a un bateau le 5 et je pense quee c'est
sur celui-là que je rentrerai). C'est donc afin d'utiliser
utilement ce mois, perdu d'avance, que je comptais faire cette
annalo (qui est d'aillieur sacrifiée dans presque toutes les
écoles d'architecture) J'ai recu le sujet et j'attends un
autorisation de Rennes, mais il m'est très difficile de me
rendre à Alger assez souvent et je n'ai pas Orleansville de
bibiothèque correcte à ma disposition si bien que je crois que
ce sujet tombera à l'eau.
Pour le moment je suis en train d'intriguer pour me faire
envoyer en voyage. dans le sud à Gardahia et avant à Bougie mais
j'ai à peu près une chance sur deux d'y réussir.
12 septembre 1958
Avec deux autres stagiaires d'Orleansville je viens
d'obtenir de participer au voyage que les travaux publics
organisent pour leurs stagiaires. Nous avons été conduits
ce matin à Alger et nous embarquons ce soir sur un bateau pour
nous rendre à Bougie (actuellement Béjaïa) où nous resterons 2 ou
3 jours. Après quoi retour à Alger et voyage dans le sud à
Gardahia en avion. Retour à Alger le 21. Bien entendu nous
sommes nourris et logés gratuitement et dans des conditions
luxueuses. Nous avons obtenu de faire ce voyage hier soir car
tous les autres étudiants d'Orléansille partent samedi et
que nous étions tous les 3 à rester seuls.
16 septembre 1958
Enfin un peu de temps libre pour vous écrire! Depuis mon arrivée
à Alger jeudi dernier on ne nous laisse pas le temps de souffer.
Sans doute avez vous reçu la carte que je vous ai envoyée ce
jour là mais je crois qu'il est bon que je vous explique mieux
ce qui s'est passé.
Les travaux publics organisent pour leurs stagiaires un voyage
de fin de stage. Ce voyage commencé vendredi. il y a 12 jours
occupait sa première semaine à des visites d'Alger et de la
région de Blida et de Tipasa. C'est avec lui que, de passage à
Alger, j'ai pu visiter les établissements Neyrpic dont je vous
ai parlé. Par la même occasion j'apprenais l'existence de ce
voyage et, comme vous le pensez je mourais d'envie d'y prendre
part. Je me renseignais à droite et à gauche mais n'étant pas
stagiaire des TP on me répondit que la chose était impossible.
De retour à Orleansville mercredi dernier je pars visiter
l'usine de la Campenon-Bernard, de tuyaux d'irrigation en béton
pré-contraints. Visite d'ailleurs fort intéressante et qui m'a
permis sur un exemple assez simple de comprendre le principe du
béton-précontraint. Là, nous voyons M. Petit, maire de
Oued-Fodda et, avec l'autre stagiaire qui comme moi reste à
Orleansville (tous les autres ayant maintenant regagnés la
France)nous lui exposons nos envies. Le soir même j'apprenais
que Monsieur Petit avait intercédé pour nous à Alger et que nous
obtenions le voyage. Jeudi matin une voiture de l'hydraulique
nous conduisait à Alger. Nous avons été reçus comme des
princes, logeant dans une confortable cité (malheureusement très
loin du centre et très haut placée) et mangeant dans un des
meilleurs hôtels d'Alger (où l'on rnange même trop bien, ce qui
est bien une fois, mais fatiguant à la longue )
L'après-midi étant libre on m'emmenait à la piscine du RVA, la
piscine "chic" d'Alger, établie dans une digue du port sur une
île: formidable. Le soir même, départ pour Bougie à bord de la
Servanaise, un petit cargo de 300 tonneaux, pas très
confortable mais très amusant et qui, avec l'avion est le seul
moyen, non dangereux, d'aller à Bougie.
Arrivée à Bougie vendredi, matin à 7 heures et départ sur la
corniche entre Bougie et Djidjelli (actuellement Jijel). Paysage magnifique!
montagnes abruptes descendant à pic dans la mer avec une route
taillée dans la falaise.
Arrivée à Ziama-Mansouriah, charmante petite ville que l'on
imaginera très bien sur la riviera et aussitôt on s'enfonce à
l'intérieur du pays pour visiter les travaux de Djen-Djen,
travaux fort importants puisqu'ils doivent augmenter de 30% la
production électrique d'Algérie. De la riviera on est passé dans
les Pyrénées. Visite du barrage d'Eraguève qui sera le principal
du Djen-Djen et qui est encore en construction.
Puis repas pantagruélique et l'on repart visiter l'usine
souterraine à 13 km plus bas et qui est vraiment très belle avec
ses grandes salles voutées à pilastres: on dirait presque une
série d'églises. Nous passons la nuit à la cité de l'ENA,
petits bungalows de 4 pièces, cuisine, salle de bain, au milieu
d'un parc splendide bordé d'un côté par la mer (plage privée
etc.) et de l'autre par de hautes montagnes. Le cadre est idéal
et des plus reposants. Hélas nous n'y restons pas longtemps et
nous partons tôt le matin pour visiter, en petit train, la
conduite-forcée dont 7 km s'étendent déjà sous la montagne.
L'aprèsmidi de retour à Bougie, visite du port (futur port
pétrolier de France) des travaux du pipe-line (on doit dire
maintenant par décret ministériel "oléoduc"!) d'Hassi-Messaoud,
et des réservoirs (les plus grands du nouveau monde: 56 m de
diamètre, 15 m de haut) eux aussi en construction. A 9 heures du
soir nous reprenions la Servanaise (et regagnons Alger escortés par un banc de dauphins).
Depuis je suis à Alger et notre emploi du temps est toujour
aussi rempli. Nous avons ainsi visité le port en vedette pendant
toute une matinée. Nous avons aussi visité en détail l'aérodrome
de Maison Blanche et sa fameuse piste, qui est la plus grande
dalle du monde en béton précontraint. La visite était précédée
d'un film de près de 2 h sur la fabrication de cette piste et
que beaucoup ont trouvé un peu long, d'autant plus que nous nous
étions levés fort tôt et que nous avions plus envie de dormir
que de regarder des films techniques. Nous avons aussi eu
2 très bons films sur les routes kabyles et sahariennes.
Bref, nous ne perdons pas une minute. Demain matin à 7 heures
nous prenons l'avion pour Gardhaia d'où nous ne rentrerons que
samedi après-midi. Nous savons que nous devons en particulier y
visiter des chantiers routiers mais nous ne savons pas
exactement où. Il est fort possible que nous visitions aussi
Hassi-Messaoud et El-Goléa. Je vous dirai cela à mon retour.
20 septembre 1958
Après un périple d'environ 2.400 km me voici de nouveau à Alger,
un peu fourbu mais très heureux. Et cette fois-ci c'est mon
voyage à Gardhaia que je m'en vais vous conter. Partis mercredi
matin de Maison-Blanche nous y sommes arrivés de retour à 2
heures cet après midi après avoir passé 3 jours 1/2 merveilleux
là-bas.
Aller en avion: un Bréguet 2 ponts qui nous conduisit à
Noumérate (l'aéroport de Gardhaia) en 1 h. 40. De l'avion,
bien que j'ai pu me placer près d'un hublot, je n'ai pas vu
grand chose, mais à la descente, quel contraste avec Alger! A
perte de vue un grand plateau dénudé, sans un brin d'herbe,
couvert de petites pierres grises et noires avec par-ci par-là
des petites collines tabulaires comme si on les
avait toutes coupées à la même hauteur. Là un car nous
attendait pour parcourir une vingtaine de km qui nous séparait
de Gardhaïa. Pendant tout le trajet le paysage ne change pas
mais l'arrivée à Gardhaïa est magnifique: ce sont 5 villes,
chacune sur sa colline, aux maisons ocres, bleues ou vertes,
surmontées chacune par son minaret et entourées de remparts,
avec à côté de chacune la palmeraie. Ces villes sont dans la
vallée de l'Oued M'zab, si bien qu'à l'arrivée, on les domine
l'une après l'autre tandis qu'on descend dans la vallée par une
route en lacets qu'ils appellent là-bas l'escargot.
On nous donne nos chambres situées dans 3 villas bleues où
nous sommes comme chez nous. Puis nous partons visiter la ville
principale et en particulier sa place du marché avec ses arcades
et ses chameaux...
... et aussi sa mosquée.
Là se place une histoire amusante: au moment de monter sur la
terrasse de la mosquée, le guide se met à beugler de toutes ses
forces: c'est pour avertir les femmes qui sont sur les terrasses
des maisons de se cacher. Car les mozabites qui peuplent le
M'zab et qui constituent une secte mahométane particulière sont
les plus puritains et les plus religieux des arabes.
Pour rien au. monde, ils ne montreraient leurs femmes.
Seules les vieilles sortent dans les rues, tellement couvertes
de voiles qu'elles n'ont plus forme humaine et lorsqu'on les
croise elles se plaquent le visage contre le mur afin qu'on ne
voit pas l'œil qu'elles ne peuvent cacher (j'en ai même vu deux
qui sans doute, estimaient qu'un seul œil était suffisant
pour 2 personnes, aussi l'une guidait l'autre qui avait la
figure toute couverte).
Les rues des villes mozabites sont extraordinaires, elles datent
du 11 ème siècle et ne semblent pas avoir changé beaucoup depuis
(mis à part les fils électriques).
Pas une seule fenêtre par où on puisse voir l'intérieur des
maisons, les portes même s'ouvrent sur des couloirs en chicane
pour la même raison. Il y règne un silence et un calme
impressionnants qui s'expliquent par le fait que les femmes ne
sortent pas et que la plupart des hommes travaillent dans le
nord et ne reviennent à Gardhaïa que de temps en temps ou pour y
finir leurs jours.
un coiffeur en plein air
Elles sont de plus d'une propreté qui frappe quand on connait la
saleté de la casbha d'Alger.
A midi nous déjeunons à l'hôtel de la Transat, magnifique, dans
le style du pays, avec un patio très agréable, une piscine
privée, une palmeraie et des salles splendides avec leurs tapis
mozabites hauts en couleur pendus sur les murs blancs. Ce n'est
d'ailleurs pas un hôtel bon marché et la facture, que j'ai vue à
notre départ, était de 295.000 Fr pour 5 repas de 30
personnes. Faites le calcul!
L'après-midi je me baigne à la piscine...
...jusqu'à 4 heure où nous avons une conférence suivie d'une
promenade au belvédaire d'où on domine l'ensemble des 5 villes
et des palmeraies. Là le ciel se couvre et il commence à
pleuvoir. Le soir il pleuvait des torrents. C'était la première
pluie que je voyais en Algérie, pas la peine de venir au Sahara
pour cela!
Le lendemain départ à 5 heures du matin en direction de
El-Goléa. Après une centaine de km de bonne route, la piste.
Arrivée à 10 heures au chantier de concassage où l'on nous offre
un petit déjeuner qui ressemble beaucoup à un déjeuner,
visite du chantier.
Puis nous remontons vers le nord pour aller jusqu'à El Goléa qui
se trouve encore à près de 100 km de pistes impraticables pour
un car. Nous visitons plusieurs chantiers de construction de la
route. A 1 heure, repas formidable dans l'un des camps. Puis on
repart. On est de retour à Gardhaïa pour le diner. A vrai dire
cette visite, très poussiéreuse n'avait pas été très
intéressante et nous en avions beaucoup moins vu en 360 km de
routes qu'en 1 heure de cinéma à Alger avant le départ mais,
questions techniques mises à part (qui d'ailleurs n'étaient
guère de mon rayon) cette journée nous a permis de voir un peu à
quoi ressemblait le Sahara avec ses grands plateaux dénudés, ses
dunes et ses chameaux.
Vendredi matin, quartier libre. Je continue ma visisite de
Gardhaîa et en particulier je visite la fabrique de tapis tenue
par les sœurs blanches, où les tapis sont tissés par les femmes
indigènes comme au moyen-age (même le laine est filée par elles
et les teintures sont faites par elles avec des plantes
locales.)
L'après-midi, visite du chantier de la route Gardhaïa - Ouargla,
beaucoup moins intéressant que celui de la veille sous tous les
rapports mais au retour nous visitons l'oasis artificielle de
Zelfanc, crée de toutes pièces il y a 4 ans par le forage d'un
puit artésien. Une fois de plus je constate qu'il ne faut jamais
se déplace au Sahara sans un maillot de bain car il y a des
piscines partout (et en
prime, l'eau sortait chaude naturellement).
Magnifique coucher de soleil dans la palmeraie, puis nous
rentrons.
Ce matin visite de Demi-Isguen, la ville sainte, où les shorts,
les cigarettes et les appareils de photo sont
rigoureusement proscrits et où jamais un européen n'a passé la
nuit. C'est la ville riche de Gardhaïa et les Mercedes et autres
autos de luxe qui attendent au pied, des remparts le montrent
bien. Les mozabites sont tous d'ailleurs très riches car ce sont
des commerçants hors pair qui trustent tout le commerce
d'Algérie. Cela ne les empêche pas, revenus chez eux, de vivre
comme au moyen-âge.
Puis visite de la palmeraie où nous mangeons des dattes sur les
palmiers. Les riches mozabites y ont des villas splendides
où ils viennent l'été et l'ensemble est vraiment, très beau. On
aimerait y passer aussi ses vacances.
A midi on a repris l'avion et le voyage a été aussi rapide qu'à
l'aller mais beaucoup moins agréable pour beaucoup car ça
chahutait pas mal (et moi qui
n'étais pas malade, je me suis empiffré des plusieurs
plateaux-repas, délaissés pas mes condisciples).
-
Je rentre lundi matin à Orleansville avec une voiture de
l'hydraulique, Si c'est possible vais tâcher de faire avancer ma
date de départ car la perspective de passer 15 jours seul
étudiant à la reconstruction ne me sourit guère. Mais je doute
fort que l'on veuille bien abréger mon contrat. En tous cas
cela me reposera car tous ces kimomètres et surtout tous ces
repas excellents mais énormes m'ont un peu fatigué.
24 septembre 1958
Juste un petit mot pour vous faire part de la date de mon
retour. J'ai réussi à la faire avancer au 30 septembre (au lieu
du 5 octobre) c'est donc ce jour là que je prendrai le
bateau; le "Ville d'Oran" et serai en France mercredi 1er au
matin. J'ai par ailleurs pratiquement obtenu de rentrer par
Paris au lieu de Bordeaux, ce qui bien que m'allongeant le
voyage, me permet de m'arrêter un ou 2 jours à Chalon et ainsi
de retrouver les Chalonnais que je n'ai pas vus depuis bien
longtemps (j'ai ainsi pu voir
mon grand-père pour la dernière fois avant qu'il ne
disparaisse)...
et prendre cette photo
...ce qui me fait arriver à Vannes vers le 5 octobre environ.
Bien que je me plaise bien ici il commence de me tarder un peu
de rentrer et de vous revoir, et la farnile me manque un peu.
D'autant plus qu'Orleansville n'est plus très drôle maintenant
que tous les stagiaires (sauf un qui travaille à l'hydraulique)
sont partis. Il y fait toujours fort chaud la journée mais le
soir je suis le seul à me baigner à la piscine que les autres
trouvent froide! Comme par ailleurs je n'ai absolument rien
d'autre à faire qu'à lire de romans je m'ennuie un peu .C'est
pourquoi, bien que je parte mardi, je me rends à Alger dès
samedi où je passerai un dimanche plus agréable qu'ici et où
j'aimerais mieux me trouver au moment du référendum.
Ce soir je suis invité à passer la soirée chez les Fehr qui
fêtent leur départ, ayant été nommés à Oran. Je
vais être obligé de négliger un peu le couvre-feu mais
comme je n'ai que la rue à traverser pour aller chez eux ce ne
sera pas bien grave.
Je suis rentré à 0rléansville pour apprendre que mon
alsacien de voisin était parti avec la clef de notre
chambre. Ça a été toute une histoire pour la récupérer et en
attendant pour se servir du double. Vous comprenez, ce n'était
pas prévu au règlement. Je me suis tiré d'affaire en réussissant
à ouvrir les volets de l'extérieur en m'aidant avec un fil de
fer.
* * * * *